1,35 milliard d’euros. C’est la somme que perd, chaque année, la France à cause du piratage de ses œuvres audiovisuelles. Et si pour beaucoup, regarder un film sur une plateforme de streaming illégal n’est pas « grave » comparé à l’achat de faux médicaments ou de sacs à main contrefaits, c’est sans compter sur les conséquences à grande échelle que cette pratique peut avoir sur le secteur culturel français et son avenir : baisse des investissements, détérioration de la qualité des œuvres, suppressions d’emplois, etc.
Pas besoin d’entrer dans de longues analyses stratégiques pour constater cette évidence. Avec la mondialisation des échanges et l’avènement d’Internet, le marché de la contrefaçon ne s’est jamais aussi bien porté. Il suffit de regarder les derniers chiffres publiés par les grandes organisations pour comprendre les ravages engendrés par la contrefaçon.
Des chiffres qui donnent le tournis
En avril 2016, l’Organisation de coopération et développement économiques (OCDE) et l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) ont dévoilé une étude édifiante, réalisée sur les saisies douanières entre 2011 et 2013. L’étude révèle qu’à travers le monde, les importations des produits contrefaits représentent 461 milliards de dollars, que ces derniers proviennent majoritairement de la Chine (63 %) et qu’ils transitent par de nombreux pays en proie à une forte criminalité.
Et la France dans ce marasme ? Rien de bien réjouissant : selon le centre de recherche économique et des affaires (CEBR), un Français sur trois aurait déjà acheté un produit contrefait. Faux médicaments, faux appareils électroniques ou copies de grandes marques : le manque à gagner devient colossal et ce fléau impacte durement l’économie française, empêchant ainsi la création de dizaines de milliers d’emplois.
Bien sûr, le sujet mobilise les polices du monde entier à commencer par Europol : en novembre dernier, l’Office européen de police a réussi à fermer 4 500 sites Internet qui commercialisaient des produits de luxe, vêtements et appareils de sport, pièces détachées et autres contrefaçons en tout genre. Une belle opération qui reste néanmoins insuffisante au regard de la masse de sites illégaux toujours en activité.
La culture, un secteur trop souvent oublié
Un domaine en particulier cristallise toutes les interrogations : celui de l’audiovisuel. Malgré les campagnes de sensibilisation et la loi Hadopi censée protéger la diffusion des œuvres sur Internet, les « pirates » français n’ont jamais été aussi nombreux. Selon une étude réalisée par le cabinet d’audit et de conseil EY et intitulée « Piratage en France », un internaute sur trois, soit 13 millions de personnes, a regardé des contenus de façon illégale en 2016. Cela représente 2,5 milliards de films ou séries visionnés à travers le téléchargement ou le streaming (visionnage en ligne) illégal.
Une activité sans conséquence ? Loin de là ! Le manque à gagner pour l’Etat, les ayants droit et les industries de contenus audiovisuels est estimé, a minima, à 1,35 milliard d’euros sur un an, soit 15 % du marché légal. Si celui du cinéma est plutôt préservé, le marché du DVD ou de la vidéo à la demande sont les plus impactés. Et c’est sans compter sur les 2 000 emplois qui n’ont pu voir le jour à cause de cette pratique.
Outre les conséquences financières liées au piratage, c’est toute la chaîne de la création culturelle qui est mise à mal. En effet, dans le secteur de l’audiovisuel, les acteurs sont interdépendants : « les télévisions sont les principaux investisseurs dans la production ; le dynamisme du cinéma est indissociable de la vitalité des industries techniques chargées de la fabrication des films », etc. Un constat qui a amené Solenne Blanc, associé EY, à déclarer, en février 2017, que « Le piratage audiovisuel menace la pérennité de son financement et assèche un potentiel de création nouvelle ». En bref, le piratage menace l’avenir du secteur culturel français.
Et pour le moment, les moyens de lutte contre le piratage ne sont pas efficaces : un site illégal ferme ses portes, trois autres voient le jour dans les secondes qui suivent et le tout, au nez et à la barbe des enquêteurs. Pourtant, des solutions existent : au Portugal, depuis 2015, les fournisseurs d’accès Internet (FAI) peuvent être amenés à bloquer l’accès aux sites frauduleux.
En effet, le 30 juillet 2015, le Secrétaire d’Etat portugais à la Culture annonçait la signature d’un « protocole d’entente par plusieurs organisations ». Celui-ci poursuit un objectif bien précis : « créer un accord d’autorégulation sur la protection du droit d’auteur dans l’environnement numérique ».
Pour ce faire, le protocole énonce une procédure permettant aux signataires de signaler « les sites susceptibles de violer le droit d’auteur » à l’association de lutte contre le piratage MAPINET qui a ensuite la possibilité de « transmettre une plainte » à l’Inspection générale des activités culturelles (IGAC) du ministère. Une fois la plainte enregistrée, l’IGAC peut demander aux FAI de bloquer l’accès aux sites web en question. Simple et efficace : en avril 2016, on comptait pas moins de 330 sites frauduleux qui avaient été bloqués grâce à cette procédure, parmi lesquels le célèbre « The Pirate Bay ».
Et il existe d’autres pistes de réflexion qui semblent tout aussi prometteuses. D’après EY, près de 75 % des Français se déclarent prêts à payer des contenus en l’absence d’alternatives illégales. La valorisation de l’offre légale apparaît donc également comme une solution plausible. Tout comme la mobilisation des géants du web : en février dernier, au Royaume-Uni, Google et Bing se sont engagés à limiter la visibilité des sites de contenus piratés. Les solutions existent, reste à l’Hexagone de les mettre en œuvre afin d’être en mesure de garantir l’accès à une culture française de qualité aux futures générations.