Sans surprise, la FCC, l’organe de régulation des télécoms américains, a voté le 14 décembre la fin de la neutralité du net. Un coup de semonce contre les défenseurs d’un Internet ouvert et libre, mais la réaction n’a pas traîné. Menée par Bernie Sanders, le candidat (ultra) démocrate à la primaire de la dernière présidentielle, une contre-attaque s’engage, au niveau législatif et judiciaire.
Le vote du 14 décembre 2017 n’a réservé, au final, aucune surprise : avec deux membres défendant la neutralité du net et trois la condamnant, un miracle seul aurait pu éviter que la commission de la Federal Communications Commission (FCC) ne vote l’abrogation de la neutralité du net, telle qu’elle avait été mise en place en 2015 par l’administration Obama.
Une neutralité enterré, mais qui pourrait bien ressortir de sa tombe !
Le miracle n’a pas eu lieu, et la date a bien marqué l’enterrement officiel de ce principe, malgré une très forte mobilisation populaire et des créateurs de contenus Internet. La mesure tient en effet à cœur au président Donald Trump, toujours proche des opérateurs télécoms à qui il devait ce cadeau.
Mais cet enterrement n’est pas un point final. La neutralité du net pourrait ressurgir de sa tombe, plus forte que jamais : le premier sorcier vaudou a s’être manifesté est une vieille connaissance de la campagne présidentielle américaine de 2016, Bernie Sanders, le candidat malheureux à la primaire démocrate. Situé à l’aile gauche du Parti, grand défendeur des libertés, il est monté au créneau, estimant que ce vote était « une attaque flagrante contre notre démocratie ».
« Une attaque flagrante contre notre démocratie »
« La fin de la protection de la neutralité du Net signifie qu’Internet sera à vendre au plus offrant. Lorsque nos institutions démocratiques sont déjà en péril, nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour empêcher cette décision de prendre effet », a prolongé le sénateur du Vermont, en proposant deux plans de bataille.
Le premier vient d’être lancé, même s’il a peu de chance d’aboutir. Il s’agit de mettre en place un Congressional Review Act (loi de révision au congrès), un procédé législatif qui permet aux parlementaires d’annuler la décision d’une agence fédérale, dans les 60 jours qui suivent sa promulgation.
Un recours devant le Sénat et la Chambre des Représentants, qui a peu de chance d’aboutir
Le sénateur démocrate du Massachusetts Ed Markey, aux cotés de 15 autres sénateurs, a annoncé la mise en place de cette résolution : « Le Congrès peut corriger la décision mal avisée et partisane de la FCC et laisser Internet entre les mains des gens, pas des grandes sociétés », a déclaré l’élu.
Seul problème : il faut, pour qu’un Congressional Review Act soit validé, que la majorité du Sénat et de la Chambre des Représentants votent en sa faveur. Or, les deux chambres sont dominées par les Républicains (d’une seule voix, cependant, dans le cas du Sénat), qui sont, dans leur ensemble, opposés à la neutralité du net. De plus le président des Etats-Unis peut mettre son veto à une résolution de ce type – et peu de chance que Donald Trump laisse passer une telle loi !
Attaquer le vote de la FCC en justice
Le second plan présente des chances de succès bien supérieures : il s’agit de contester la décision de la FCC devant les tribunaux, en arguant que la consultation de l’organe de régulation a été manipulée par les opposants à la neutralité du net – ce qui semble avéré. Eric Schneidermann, avocat général de New York, s’est déjà lancé dans cette bataille.
« Nous déposerons une plainte pour préserver la protection des New-yorkais et de tous les Américains. Et nous travaillerons d’arrache-pied pour empêcher les dirigeants de la FCC de nuire davantage à Internet et à notre économie » a déclaré le magistrat, qui a annoncé qu’il n’agirait pas seul.
En effet, pas moins de 18 autres procureurs de différents Etats américains pourraient également attaquer la décision de la FCC – ils avaient tous co-signé une lettre appelant à retarder le vote, estimant les premiers éléments de l’enquête sur la consultation accablants. Parallèlement, trois groupes d’intérêt public, Public Knowledge, Common Cause et Free Press, ont déclaré vouloir eux aussi porter l’affaire devant les tribunaux.
« Cette affaire est condamnée au tribunal »
D’autres associations pourraient suivre, notamment le lobby des géants du net, l’Internet Association. De nombreux observateurs estiment que, devant les tribunaux, la décision de la FCC risque de ne pas faire le poids. « Je pense que cette affaire est condamnée au tribunal. Ils sont allés trop loin», a ainsi affirmé Tim Wu, le professeur en droit à l’université Columbia à New York qui a inventé l’expression « neutralité du net » en 2002. Reste que la procédure menace d’être longue.
En attendant, certains Etats américains, comme le Washington, ont annoncé qu’ils allaient faire pression, financièrement, sur les fournisseurs d’accès à Internet pour qu’ils continuent de respecter la neutralité du réseau.
Le vote est passé. Mais la bataille est très loin d’être finie.