A l’Assemblée Nationale, un groupe de travail vient de rendre son rapport sur la « démocratie numérique » : parmi les mesures proposées figure notamment un projet de révision constitutionnelle, inscrivant dans le marbre le droit aux citoyens d’un accès à Internet libre et ouvert. Ce qui reviendrait à inscrire la neutralité du net… dans la Constitution !
Hasard des calendriers, alors que la neutralité du net est agonisante aux Etats-Unis, avec des effets encore inconnus sur la liberté et l’innovation sur Internet, en France, un groupe de travail de l’Assemblée Nationale propose d’en faire un droit indissoluble, inscrit dans le premier article de la Constitution !
Un rapport sur la « démocratie numérique »
Le rapport, signé de la députée Paula Forteza, rend compte des propositions d’un groupe de travail de dix personnes, issues de tous les groupes politiques de l’Assemblée Nationale, sur la « démocratie numérique ». Durant tout l’automne, les élus ont rencontré de nombreux spécialistes de ces questions, universitaires, juristes, experts en science politique, membres du Conseil économique, social et environnemental et du Conseil national du numérique.
Une bonne partie des propositions des députés sont centrées sur les questions de l’implication des citoyens dans la vie publique grâce aux outils numériques (participation citoyenne, possibilité d’influer sur l’ordre du jour à l’Assemblée, refonte du référendum d’initiative partagée). Mais celle qui semble la plus marquante est la demande d’inscrire dans la Constitution le droit d’accès à Internet et à la formation au numérique.
Eriger l’accès à Internet « au rang de service universel »
« Consacrer explicitement dans la Constitution le droit d’accès à Internet et ériger cet accès au rang de service universel constitue le préalable indispensable à la reconnaissance de l’exercice effectif des diverses formes de participation citoyenne à la vie démocratique » expose ainsi Paula Forteza, en s’appuyant notamment sur des précédents juridiques d’importance.
En effet, le 5 juillet 2012, le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONUa publié une résolution établissant que « chaque individu a le doit de se connecter et de s’exprimer librement sur Internet. (…) Les droits dont disposent les citoyens hors ligne doivent être protégés en ligne quel que soit le pays ou le média utilisé ».
En France le Conseil Constitutionnel a jugé, le 10 juin 2009, que « la liberté d’opinion proclamée à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, qui est un principe constitutionnel, implique la liberté d’accéder aux services de communication en ligne, autrement dit Internet ».
Modifier l’article 1 de la Constitution
En conséquence, les élus demandent que la prochaine révision constitutionnelle inclue un volet sur Internet. Cinq ajouts sont proposés :
- la liberté d’accès à Internet, de publier, de diffuser et de recevoir des contenus en ligne
- la neutralité du net ; l’ouverture et l’interconnexion des réseaux de communication
- la lutte contre la fracture numérique
- le droit à la formation pour la maîtrise des outils numériques
- la contribution des partis et groupements politiques à la mise en œuvre de ces principes.
Plus techniquement, la proposition engage à modifier l’article premier de la constitution, celui qui fixe les principes fondamentaux de la nation – indivisibilité de l’État, laïcité, égalité devant la loi, respect de toutes croyances ou organisation démocratique et sociale de la société.
Les députés proposent d’y ajouter l’alinéa suivant : « la loi garantit l’accès libre, égal et universel à des réseaux numériques ouverts et la formation des citoyens à leur utilisation ».
Faire de la neutralité du net un principe constitutionnel
Cette modification constitutionnelle aurait un impact symbolique et législatif fort. Elle consacrerait l’accès à Internet comme un droit fondamental, imposant de fait aides et soutiens au plus démunis pour utiliser ces outils. Elle érigerait aussi en principe constitutionnel la neutralité du net – qui, rappelons-le, considère que tout le trafic Internet doit être traité par les fournisseurs d’accès de façon égale, sans discrimination, limitation ni interférence, qu’importe l’expéditeur, le destinataire, le type, le contenu, l’appareil, le service ou l’application.
Et garantirait ainsi à la France un Internet ouvert, sans débit ralenti ou accéléré pour tel site ou tel contenu, sans mainmise des fournisseurs d’accès. Un Internet libre. Exactement le contraire de ce qui se passe aux Etats-Unis…