Le Président de la République, Emmanuel Macron, a réitéré ses propos pour le moins ambigus sur le chiffrement des conversations et des données : en réaction l’association la Quadrature du Net a interpelé Cédric Villani et Mounir Mahjoubi, pour leur demander de prendre position en faveur du chiffrement.
Emmanuel Macron n’est pas le premier politique à vouloir remettre en question le chiffrement des communications électroniques, mais il semble insister dans cette voie. Sa déclaration de campagne, réclamant des mesures contre les géants du net qui refusaient de transmettre leurs clés de chiffrement dans le cadre d’enquête contre le terrorisme, avait provoqué un petit scandale et un communiqué de correction.
Macron ne veut pas de portes dérobées, mais il veut l’effet des portes dérobées !
Mais, lors de la visite du Theresa May en France, il avait réitéré, en exprimant sa volonté « d’améliorer les moyens d’accès aux contenus cryptés, dans des conditions qui préservent la confidentialité des correspondances, afin que ces messageries ne puissent pas être l’outil des terroristes ou des criminels ».
Nos collègues de Numerama avait fort à propos ironisé sur le fait que pour accéder à un contenu chiffré… il faut le déchiffrer ! Donc qu’il soit déchiffrable par un tiers. Donc qu’il soit, par définition, perméable. Donc, in fine, inefficace.
Dans le texte du plan d’action franco-britannique contre le terrorisme, on trouvait cette phrase : « Il n’est pas question ici de portes dérobées ou d’interdiction du chiffrement, mais de permettre que les gouvernements et les entreprises développent des solutions conjointes sur ces questions ». Or, le seul moyen pour que les gouvernements puissent accéder aux contenus chiffrés est de placer des portes dérobées… ou d’interdire le chiffrement.
Une levée de bouclier mondiale contre la remise en cause du chiffrement
Ce que refusent en bloc les géants du net, tous les défenseurs de la vie privée et des données personnelles, et les experts en cybersécurité. Car fragiliser un chiffrement, c’est fragiliser toute la chaîne de confidentialité, et rendre vulnérable des contenus aux hacks et cyber-attaques.
Pourtant, les responsables politiques ou policiers d’envergure multiplient les demandes dans ce sens : le gouvernement australien a annoncé vouloir imposer des portes dérobées, le directeur du FBI a récemment pesté contre la cryptographie. Et si l’on peut comprendre la frustration policière à ne pouvoir briser le chiffrement d’un téléphone ou intercepter certaines conversations, elle ne justifie pas la remise en question de la sécurité de tout un système de communication.
Mounir Mahjoubi et Cédric Villani, interpelés par la Quadrature
La Quadrature du Net, l’association de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet, vient de monter vigoureusement au créneau. Elle a interpelé deux figures de la République en Marche, le secrétaire d’Etat au numérique, Mounir Mahjoubi et le député Cédric Villani, pour leur demander de prendre publiquement et clairement position pour le chiffrement des données, parce qu’ils avaient, « avant d’être aux affaires, chacun pris des positions utiles et puissantes sur le chiffrement ».
En 2016, Mounir Mahjoubi, à l’époque président du Conseil National du Numérique, s’était en effet violemment opposé aux déclaration de Bernard Cazeneuve contre le chiffrement et à sa volonté de mettre sur pied une alliance franco-allemande pour mener une croisade mondiale contre la cryptographie. Il avait à l’époque déclaré que le chiffrement était un élément « vital » et « essentiel » et que le limiter « reviendrait à mettre en danger une grande majorité d’utilisateurs ».
Cédric Villani, de son coté, en tant que mathématicien questionnant la place des mathématiques dans la société et la politique, a coordonné un ouvrage de vulgarisation sur la question du chiffrement, Codage et cryptographie.
« Ramener un peu de sens » dans le débat
La Quadrature du Net appelle donc les deux hommes, « comme membre du gouvernement pour l’un et représentant de la Nation pour l’autre, à prendre publiquement position sur le chiffrement de bout en bout face aux positions de l’administration française ».
« Puisse la raison dont ils ont fait preuve par le passé s’exprimer de nouveau pour ramener un peu de sens à un débat que l’irresponsabilité et le mensonge semblent aujourd’hui dominer » conclue avec violence l’association. Mais cette violence semble plus que légitime, devant l’ampleur de l’enjeu.