Le 22 février 2018, la fin de la neutralité du net a été inscrite dans le droit américain ; la première partie des ordonnances rentreront en vigueur le 23 avril : d’ici là de nombreux recours sont encore possibles, législatifs ou judiciaires. Le point sur la suite de cette bataille.
Les opposants à la neutralité du net ont gagné. Les grands opérateurs télécom, Verizon, AT&T ou Comcast ont gagné : la Federal Communications Commission (FCC) a voté, le 14 décembre 2017, par 3 voix contre 2, la réforme proposée par son président, Ajit Pai.
La fin de la neutralité du net en questions
Le cadre légal mis en place par l’administration Obama ne serait bientôt plus qu’un souvenir, et les opérateurs auraient le droit de mettre en place un Internet à plusieurs vitesses, en fonction de critères restant à définir – mais il est probable que l’argent versé par les fournisseurs de contenus ou créateurs de site Internet pèseront fortement dans la balance.
En clair, les Etats-Unis vont découvrir un Internet à plusieurs vitesses, des autoroutes pour les grands sites et les géants du net qui pourront payer les fournisseurs d’accès, et des débits plus réduits pour tous les autres. Soit, pour beaucoup, un coup rude donné à la liberté, à l’innovation et à l’égalité d’Internet.
Une application pleine et entière retardée
La proposition de la FCC est entrée dans le droit américain le 22 février, avec la publication d’une grande partie des ordonnances. Le révocation de la neutralité du net définie par l’administration Obama sera effective 60 jours plus tard, le 23 avril.
The Verge souligne cependant que certaines dispositions des règles de la FCC ne seront appliquées que plus tard, ce qui nécessitera une seconde publication au journal officiel, suivie d’une nouvelle période de 60 jours avant leur entrée en vigueur : les opérateurs télécom devront attendre encore un peu avant d’avoir les coudées totalement franches.
Recours législatifs du Congrès pour faire annuler la loi
Mais tout espoir pour les défenseurs de la neutralité du net ne semble pas perdu pour autant, comme nous l’évoquions fin décembre. Car la publication de la révocation ouvre une fameuse période de 60 jours pendant laquelle le Congrès peut annuler cette loi.
Du coté du Sénat, les démocrates ont affirmé en janvier qu’ils avaient le soutien de 50 membres sur 100 ; il leur reste donc un membre à convaincre pour pouvoir renverser la loi. Seul soucis : pour invalider la proposition de la FCC, il faut également que la Chambre des Représentants la repousse. Et la majorité de cette assemblée est plus nettement républicaine, et le nombre d’élus à convaincre bien plus élevés – même s’il se dit que certains républicains seraient en réalité favorables à la neutralité du net.
Nancy Pelosi, la présidente du groupe démocrate à la Chambre des Représentants, se veut d’ailleurs combative : « Le Congrès doit agir pour renverser cette décision destructrice de la FCC qui a laminé un consensus bipartite qui durait depuis des décennies et la volonté du peuple américain en sapant les règles du jeu équitables qui sont au cœur d’Internet » a affirmé l’élue démocrates.
L’Union Européenne au soutien
L’Union Européenne a également fait pression sur les élus américains pour qu’ils défendent ce principe. Un collectif de 148 élus européens, emmenés par Marietje Schaake, la vice-présidente néerlandaise du dialogue transatlantique des législateurs au Parlement européen, ont envoyé ce message d’une clarté limpide à leurs homologues américains : « Nous vous prions instamment de garder le cap et vous demandons de renverser les règles adoptées par la FCC en décembre, qui visent à mettre fin à la neutralité du réseau. Les normes et les règles établies aux États-Unis ont un impact mondial, surtout quand il s’agit d’Internet ».
Ce combat législatif demeure cependant incertain, d’autant que le président Donald Trump gardera toujours la possibilité d’invalider la décision du Congrès s’il le souhaite, en usant de son droit de veto.
Des Etats veulent continuer d’appliquer la neutralité du net, contre la loi
D’autres recours existent : certains Etats ont d’or et déjà affirmé qu’ils feraient tout pour continuer à appliquer les règles de la neutralité du net sur leur territoire. C’est le cas du Montana, dont le gouverneur a signé un ordre exécutif qui exige que les opérateurs télécom travaillant dans son Etat respectent ce principe : « L’avenir du Montana dépend d’un Internet libre et ouvert. Aujourd’hui, nous sommes devenus le premier État du pays à faire quelque chose pour sauvegarder la liberté de l’Internet », a-t-il écrit sur Twitter.
Mais la légalité de cet ordre exécutif est plus qu’incertaine : la décision de la FCC interdit aux Etats d’édicter leurs propres règles en matière de neutralité du réseau.
Les actions en justice vont pleuvoir sur la décision de la FCC, avec de réelles chances de succès
Reste le terrain judiciaire, sans doute celui où les chances de succès sont les plus grandes. Les procureurs généraux de 22 Etats vont attaquer la décision de la FCC en justice ; l’action avait déjà démarré courant janvier, mais les procureurs ont décidé d’attendre la publication effective du document pour l’attaquer, pour ne pas risquer d’être retoqué pour vice de forme.
La publication de la révocation va donc déclencher l’action collective de ces 22 procureurs, pour faire admettre au tribunal que l’abrogation décidée par la FCC est « arbitraire, capricieuse et un abus de pouvoir discrétionnaire », en soulignant qu’elle s’apparente à une « interprétation erronée et déraisonnable » du droit des communications.
Le lobby des géants du net (qui regroupe, entre autres, Amazon, eBay, Facebook, Google, Microsoft, Netflix, Spotify ou Twitter) devrait, dans le même tempo, lancer une action similaire, en s’appuyant sur les mêmes raisons. De nombreux spécialistes du droit estiment que la décision de la FCC n’est pas légalement tenable devant un tribunal.
Alors, les opérateurs télécom ont-ils déjà gagné ? Ou la bataille ne fait-elle, une fois encore, que commencer ?