Annoncée depuis un an, régulièrement évoquée dans les médias depuis, la nouvelle législation française pour lutter contre le piratage d’oeuvres audiovisuelles et de contenus sportifs se fait attendre. Le gouvernement vient de lancer quelques pistes, mais rien qui dépasse réellement la déclaration d’intention. A quand un arsenal vraiment efficace ?
C’est un serpent de mer qui revient, périodiquement, au grès des humeurs des membres du gouvernement et de l’actualité, depuis la fin de l’année 2017. A l’époque, l’annonce d’une future métamorphose de la HADOPI (Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet) en une entité efficace et réactive contre le piratage audiovisuel, assortie de déclarations courageuses de Mounir Mahjoubi, secrétaire d’Etat au Numérique, prouve la volonté gouvernementale de se retrousser les manches pour faire face au streaming et au téléchargement illégal.
Le piratage : attaque contre la Culture Française, financement de mafia, exposition de mineurs à la pornographie
Les raisons de cette croisade ne manquent pas : manque à gagner pour les auteurs et, par contre-coup, pour la culture française dans son entier (330 millions d’euros d’investissements en moins), avec des conséquences en terme d’emploi (2 000 emplois détruits) et de recettes fiscales (430 millions d’euros de perdus) ; financement de mafias et d’entreprises illégales par la publicité générée par les sites pirates ; multiplication des publicités pour des sites pornographiques, auxquels sont confrontés des mineurs de plus en plus jeunes…
Le coup de gueule de secrétaire d’Etat nous avait rendu optimistes, espérant voir se mettre en place une stratégie claire, avec des mesures concrètes, réactives et immédiatement applicables, s’inspirant des réussites étrangères.
Un an après les déclarations d’intention, aucune mesure concrète mise en place
Un an s’est écoulé, ou presque. Le sujet est revenu à la surface. En avril, la Ministre de la Culture a évoqué une « liste noire » (hou, le mot qui fait peur!) des sites de streaming illégal. Mais à quoi sert d’établir une liste sans avoir les armes pour les éradiquer et contrer les sites miroirs ? A avoir une belle liste. Avec des noms de méchants dessus. Qu’on a déjà interdit. Et qui sont revenus. Plusieurs fois. Et qu’on s’efforce d’interdire encore…
Début septembre, une député LR de Paris, Brigitte Kuster, membre de la commission des Affaires culturelles et de l’éducation, a posé une question écrite au gouvernement sur les mesures concrètes attendues pour lutter contre les nouvelles formes de piratage, en demandant à la Ministre de la Culture « comment elle compte freiner l’accès aux offres illégales, renforcer les politiques publiques de lutte contre le piratage et faire évoluer les mentalités sur une pratique délictueuse qui dévaste la création audiovisuelle ».
Quand le gouvernement répond à une député sur la lutte contre le piratage
La réponse a été longue, dense, pleine de bonne intention, posant clairement les bonnes questions et identifiant les bons problèmes. Pour les propositions concrètes, le gouvernement a été, une nouvelle fois, moins convaincant.
La réponse s’ouvre ainsi sur un constat difficilement contestable : « La transformation rapide des usages conduit à s’interroger sur la pertinence d’un mécanisme de réponse graduée qui cible uniquement les échanges de pair-à-pair et ignore les autres formes de piratage telles que la lecture en flux (streaming) ou le téléchargement direct. Les actions judiciaires visant à faire fermer ou à bloquer l’accès aux sites pirates impliquent des procédures longues et coûteuses, dont l’efficacité est limitée par la réapparition rapide de « sites-miroirs ». Les initiatives reposant sur le droit souple portent leurs fruits mais sont, par construction, subordonnées à la volonté de coopération des acteurs concernés »
Des mesures, oui, mais « dans les prochains mois »...
Ensuite arrive la première mauvaise nouvelle : le gouvernement va mettre en place des mesures qui « devront permettre de renforcer les conditions de protection de l’ensemble des catégories d’auteurs en cas d’atteintes à leurs droits sur Internet ». Mais quand arriveront ces mesures qu’on nous promet depuis un an ? « Dans les prochains mois », répond, laconique, le Ministère.
Le délai fait déjà peur, compte tenu du retard français en la matière. Mais, à la limite, si le gouvernement nous annonce des propositions fortes, claires et efficaces, attendre quelques mois, pourquoi pas ? En étant exhaustif, quatre éléments peuvent être considéré comme des « mesures ».
Comme un goût de déjà vu
Un : « constitution d’une « liste noire » par la HADOPI ». Hou, j’ai encore peur ! Où l’on apprend que cette liste noire n’existe donc toujours pas depuis son annonce en avril… et que les moyens de l’appliquer n’ont pas évolué..
Deux : « Possibilité d’agir rapidement contre les sites dits « miroirs », qui font renaître des sites pirates qui ont fait l’objet d’une action en cessation ». Oui, la France a besoin d’armes de ce type. Mais pour le détail concret, il faudra encore attendre…
Une nouvelle idée… à peu près inutile
Trois : « S’agissant de la réponse graduée, les réflexions en cours portent sur les moyens d’en améliorer la pertinence et l’efficacité, s’agissant de la pratique du pair-à-pair, à laquelle elle s’applique. L’octroi aux auteurs indépendants de la possibilité de saisir la HADOPI pour demander la mise en œuvre de la procédure de réponse graduée à leur égard, en s’appuyant sur un constat d’huissier, figure parmi les améliorations envisageables. »
Sur ce dossier, reconnaissons que laisser la possibilité aux auteurs d’attaquer directement les pirates en justice semble une amélioration. Mais seront-ils plus efficaces en solo que les syndicats d’auteurs ou de producteurs qui attaquent régulièrement les pirates repérés par HADOPI ? Préféreront-ils agir seuls que par le biais de leur représentant ? Ajoutons à cela que cette mesurette ne concerne que le pear-to-pear, soit 20% du piratage. Cette mesure débouchera-t-elle sur ne serait-ce qu’un procès ? Rien de moins sûr.
Cibler les oeuvres piratées au lieu de sites, pourquoi pas, mais comment ?
Quatre : « Parmi les pistes de réflexion envisagées figurent la promotion et l’encadrement des technologies de reconnaissance des contenus, qui permettent de comparer automatiquement l’empreinte d’une œuvre avec celle des contenus mis en ligne par les internautes, et d’éviter ainsi l’apparition ou la réapparition de contenus contrefaisants sur les plateformes qui hébergent des œuvres. »
Il s’agit de la seule véritable nouveauté de cette annonce : le gouvernement voudrait expérimenter une logique de repérage des œuvres contrefaites plutôt que des sites, et bloquer l’accès à ces œuvres directement. Là encore, l’idée semble bonne. Les moyens techniques de mise en œuvre demeure inconnus.
Bilan : du réchauffé, du quasi-inutile, et du « Très bien mais comment allez-vous faire ? ». Quoi de neuf sous le soleil ? Pas grand chose au final. En espérant que la pluie d’automne nous amène des éléments plus concrets. Car, en attendant plus de fermeté et d’efficacité, le piratage continue de s’épanouir.