Face à la prolifération des sites de streaming sportif illégaux, souvent tenus par des réseaux mafieux et financés par des publicité pornographiques, de quelles armes disposent les autorités ? Les principales : fermer les sites pirates, les déréférencer, supprimer les abonnements des pirates. Mais aucune n’est optimale, faute de réactivité ou de consensus mondial sur le sujet. Décryptage.
Cet automne, notre collègue Fabien Soyez a publié une passionnante enquête pour Cnet France sur le streaming sportif illégal, son fonctionnement, ses origines, les méthodes pour le combattre. Le journaliste y revient sur la prolifération de ces offres illégales, et leur popularité.
Une lutte particulièrement ardue à mettre en place
Rappelons que 3,5 millions de Français visionnent au moins une fois par an un contenu sportif sur un site pirate. Le manque à gagner est estimé, pour les diffuseurs, à 400 millions d’euros. Sachant que ces diffuseurs sont les principaux financeurs des différentes fédérations sportives, le piratage nuit ainsi à la fois à la compétitivité des équipes françaises au niveau européen, et à la qualité du sport amateur en France.
Mais lutter contre ce type de piratage est terriblement difficile. Car les hackers disposent de serveurs souvent situés dans des pays hors de la juridiction européenne, en Chine et Russie notamment, avec des sites miroirs déjà prêts à émerger en cas d’une (très rare) fermeture de site.
La faible efficacité du signalement et blocage pour le streaming sportif
Face au streaming illégal de contenus audiovisuels (films et séries), les sites populaires sont, en général, peu nombreux dans chaque pays (une dizaine), le plus souvent tenu et animé par des ressortissants du pays en question. Les revenus publicitaires sont souvent encaissés en France. Identifier les sites et obtenir leur fermeture par décision de justice est faisable – même si la procédure est souvent longue et complexe.
Face à des sites de streaming sportif hébergés en Europe, cette technique du signalement et du blocage peut être efficace. Mais si les sites sont russes ou chinois, difficile d’obtenir leur blocage depuis l’Europe !
Déréférencement : une course contre la montre
La seconde méthode est celle du déréférencement. Elle peut concerner les moteurs de recherche, en temps réel : les diffuseurs officiels, via des associations comme l’ALPA (Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle) ou l’APPS (Association de protection des programmes sportifs), demandent à Google (ou Ecosia, ou DuckDuck Go…) de retirer les liens vers les sites illégaux en direct.
Mais le temps d’identifier la source, de la transmettre à un juge, et d’obtenir le déréférencement, le match est bien souvent fini : « 41 % des retraits obtenus interviennent 1h30 à 2 heures après le match », expose Caroline Guenneteau, la directrice juridique de BeIN Sports, membre de l’APPS.
Une autre méthode consisterait à bloquer ces sites directement via les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), pour qu’ils empêchent toute navigation vers une adresse frappée d’une décision de justice. Une technique beaucoup plus efficace, mais qui se heurte à un problème de taille : elle n’est actuellement pas légale.
Le tatouage numérique, pour identifier le décodeur du pirate
Enfin une dernière technique gagne du terrain, celle du tatouage numérique – ou watermarking. Le principe : “On ajoute des marques invisibles et robustes dans le contenu vidéo – invisibles pour ne pas déranger l’expérience utilisateur, mais robustes car même si un pirate essaie de transformer et de copier la vidéo, la marque sera toujours là”, expose Alain Durand, patron de Content Armor, une start-up spécialisée dans la watermarking.
Ensuite, dès qu’un flux de streaming illégal est repéré, il suffit de lire cette marque pour déterminer de quel décodeur elle provient. Il est alors possible de révoquer, presque en temps réel, le comptes du pirate, et de stopper la diffusion.
Frustrer le spectateur, pour l’inciter à revenir aux offres légales
Ces deux dernières techniques ont un énorme avantage : elle stoppe le match en pleine diffusion, générant de la frustration pour l’internaute. “Or, il n’y a rien de pire pour quelqu’un de vraiment mordu que de voir le flux se couper en pleine action. Si cela se reproduit une ou deux fois, il finira par revenir vers les offres légales. Et pour les pirates, changer de décodeur sans arrêt, puis d’abonnements, ça coûte cher à la longue ; ça les freine au maximum”, expose Alain Durand.
Pour autant, cette technique a un défaut majeur : elle n’est efficace que si les diffuseurs appliquent cette marque et la partage à leurs collègues. Si les pirates diffusent une source provenant d’une chaîne étrangère qui ne pratique pas le watermarking (ou qui ne travaille pas en coopération avec les diffuseurs français), cette technique est inefficace. “Tant que tout ne sera pas harmonisé, ça ne sera pas suffisant. Et comme pour l’instant, seules quelques chaînes en Europe ont recours à ce procédé, nous n’en sommes pas encore à l’état où c’est 100% efficace”, complète le président de Content Armor.
La route est encore longue…
Pour résumer : aucune technique n’est actuellement pleinement efficace pour lutter contre le streaming sportif illégal. Des équipes de contrôle plus nombreuses et réactives, une évolution réglementaire permettant de bloquer des adresses chez les FAI, une généralisation du watermarking par une étroite collaboration des diffuseurs mondiaux : des pistes existent. Mais il faudra de considérables efforts pour les appliquer.