L’Union Européenne envisage de modifier ses règles de vote pour les mesures concernant la fiscalité, et passer de l’unanimité à la majorité qualifiée. Cela permettrait à l’UE de mettre en place une fiscalité ciblée contre les géants du net, via une taxe européenne. Et de redorer son image face à la montée du populisme.
La Commission Européenne veut reprendre la main en terme de fiscalité, notamment pour lutter contre l’évasion fiscale des géants du net. Rappelons que chaque pays de l’Union Européenne est libre de fixer ses taux d’imposition sur les sociétés.
Dans l’UE, le dumping fiscal fait perdre des milliards d’euros tous les ans
Dès lors, de nombreuses multinationales du numérique s’implantent dans des pays aux taux très bas (Irlande ou Luxembourg notamment) et y déclarent une majorité de leur activité dans l’Union Européenne. C’est le cas de Facebook, Google, Amazon, Airbnb..
Résultat : un manque à gagner pour de nombreux pays, victime du dumping fiscal des GAFA. Un rapport de l’eurodéputé Paul Tang estime les pertes fiscales pour les pays membres à 5,4 milliards d’euros sur la seule période 2013-2015, uniquement pour Google et Facebook !
Taxer le chiffre d’affaire des géants du net, directement
Pour lutter contre ce manque d’équité, une proposition de taxe sur le chiffre d’affaire a vu le jour, portée notamment par la France et son ministre de l’économie Bruno Lemaire, puis reprise par le commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovici. Le principe ? Prélever 3% du chiffre d’affaire des géants du net, pays par pays.
Une taxe qui ne viserait que les grands groupes au chiffre d’affaire mondial supérieur à 750 millions d’euros (excluant de fait les start-up), et uniquement certains types de revenus, à savoir la monétisation des données via la publicité (modèle Facebook ou Google) et les frais de mise en relation commerciale (modèle Uber ou Airbnb). Les sociétés de vente directe (modèle Amazon) ou d’accès à un service par abonnement (modèle Netflix) seraient épargnée.
Une majorité de pays défendent la taxe, mais sans atteindre l’unanimité
Ce projet a rapidement fédéré derrière la France les pays les plus peuplés de l’Union (Allemagne, Italie, Espagne), puis a reçu le soutien public de nombreux Etats (Grèce, Slovénie, Autriche, Bulgarie, Estonie, Finlande…). Mais il s’est heurté au refus catégorique des pays qui profitent de ce système, en premier chef l’Irlande et le Luxembourg.
Or, pour valider une proposition concernant la fiscalité, les règles de l’Union Européenne imposent l’unanimité. Si un seul des 28 pays qui compose l’UE refuse la proposition, elle est retoquée. C’est ce qui est arrivé au projet de taxe pour les GAFA.
Passer de l’unanimité à la majorité qualifié, un « processus décisionnel plus efficace et plus démocratique »
Mais la Commission Européenne semble décidée à faire évoluer sa position sur cette question : « Il est fréquent que cette unanimité ne puisse pas être atteinte sur des initiatives fiscales déterminantes et puisse engendrer des retards coûteux et des politiques qui ne sont pas optimales », a ainsi déclaré la Commission.
Le 15 janvier, la Commission Européenne a ainsi annoncé l’ouverture d’un débat pour mettre en place, sur les questions fiscale, un « processus décisionnel plus efficace et plus démocratique ». Il s’agirait de passer de l’unanimité à la majorité qualifiée – une méthode de vote déjà utilisée pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.
Prouver que l’UE lutte contre l’injustice fiscale
Avec la majorité qualifiée, pour qu’une proposition soumise par la Commission soit validée, elle doit être acceptée par 55% des pays membres (soit 16 sur 28), et que ces pays représentent au moins 65% de la population de l’Union. Si la proposition n’émane pas de la Commission, 72% des pays (21 membres), représentant toujours au moins 65% de la population de l’UE, doivent la valider. Avec la majorité qualifiée, la taxe sur les GAFA aurait été votée sans difficulté.
La Commission Européenne semble comprendre l’urgence, notamment face à la montée des populisme, de prouver qu’elle lutte contre l’injustice fiscale – et que l’Union Européenne n’est pas essentiellement une machine à dumping fiscal. L’enjeu politique est d’importance.
Horizon 2026
Pour autant, la mesure ne verra pas le jour à court terme. Si l’Union valide la proposition de la Commission, la transition vers la majorité qualifiée se fera progressivement. Pour les grands projets fiscaux, notamment l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés et ce nouveau système de taxation de l’économie numérique, il faudra attendre 2025 pour qu’elle s’applique.
Donc, si cette réforme est entérinée, cette taxe sur les GAFA ne sera effective que pour l’année fiscale 2026. Ce qui laissera s’envoler d’ici là encore quelques milliards d’euros. Mais cela reste une excellente nouvelle, qui prouve que les institutions européennes peuvent finir par faire preuve de courage.