Ipocamp : protéger le droit d’auteur grâce à la blockchain

Ipocamp : protéger le droit d’auteur grâce à la blockchain
Crypto

La startup Ipocamp s’est lancée le pari d’offrir une protection du droit d’auteur, grâce à la technologie de la blockchain. Un service de certification qui se veut international, à vie, traçable, sécurisé. Un pas de plus vers une plus grande décentralisation des outils numériques.

À l’origine de cette start-up, un avocat, Barthélémy Lemiale, et un entrepreneur Arnaud Cheyssial. Leur cheval de bataille ? Le lutte contre le plagiat. Ipocamp rêve d’un monde où tous les créateurs prendraient conscience du besoin de protéger leur talent. Un changement de mentalité qui va prendre un peu de temps.

Dans les faits, Ipocamp délivre un copyright universel à tous les créateurs, en donnant une date certaine à tout type d’œuvre, grâce à la technologie de la blockchain. L’entreprise vise la « creativ class » : auteurs, photographes, vidéastes, graphistes, compositeurs… Partenaire de la Station F et du Numa, Ipocamp regarde la création dans toute sa modernité, incluant aussi bien les arts visuels, les jeux vidéo, les GIF animés, sans oublier, les algorithmes, denrées précieuses du XXIème siècle.

« En France, on a le pouls créatif du Lichtenstein ! »

Tout artiste s’est demandé, un jour ou un autre, comment protéger sa musique, sa vidéo, sa photographie… Mais très peu ont dépassé le cap de la réflexion. Et pour cause : le système actuel est long, contraignant et surtout cher, un comble pour une corps de métier qui n’arrive souvent pas à joindre les deux bouts. Qui irait protéger une création si le prix du dépôt à l’INPI valait plus cher que le coût de rémunération de cette œuvre elle-même ? Pourtant, personne n’aime se faire voler son travail ni ses idées. Il n’y a qu’à voir les photographes de presse, par exemple, qui semblent souvent désemparés quand leurs images sont publiées à leur insu sur internet.

Comme dans bien des domaines, ceux qui ont le plus besoin de protection ne sont pas forcément ceux qui ont le plus de moyens. Ce qui explique peut-être ce constat : « En France, il n’y a que 7000 dessins et modèles déposés à l’INPI. C’est très peu sur 65 millions d’habitants. On a le pouls créatif du Lichtenstein,» souligne Arnaud Cheyssial.

La startup propose d’« ancrer » une œuvre pour six euros, que cette création soit un mot ou plusieurs milliers de pages. « Nous offrons aussi la capacité de protéger les étapes successives, pour permettre de valoriser le cheminement créatif des utilisateurs, notamment ceux qui mettent du temps et du soin. On n’est pas obligé de créer comme un robot en 4h. Il faut suivre le tempo de la vie créative, » précise Arnaud Cheyssial.

Ancrage et partage

Ipocamp fonctionne avec un modèle hybride. D’un côté, l’ancrage, de l’autre, le partage. Que ce soit un scénariste envoyant un script qu’il a mis trois ans à écrire ou bien un entrepreneur qui propose une innovation, l’une des fonctionnalités d’Ipocamp permet le partage de ses œuvres, en enregistrant les échanges à chaque étape.

Lorsque le destinataire ouvre l’email et télécharge le scénario ou le pitch, ses clics sont ancrés dans la blockchain. Le certificat d’ouverture témoigne de la prise de connaissance du document protégé. La traçabilité des échanges et des œuvres est garantie et réputée infalsifiable. « On offre un stockage par défaut, une sorte de coffre-fort virtuel en blockchain de l’hémisphère droit des utilisateurs, de tout ce qu’ils créent, » continue Arnaud Cheyssial.

Nouvelle ère d’internet

La protection du droit d’auteur via la blockchain va prendre du temps à rentrer dans les mentalités car c’est un réel changement de paradigme. Il n’a jamais effleuré l’esprit de bons nombres de créateurs, ceux par exemple de GIF animés, de se faire rémunérer à chaque utilisation de leur contenu. Et pourquoi pas ?

En 2016 déjà, le Canadien Don Tapscott, personnalité hautement influente dans le domaine, directeur de la Blockchain Research Institute et auteur du best-seller Blockchain Revolution, expliquait dans une conférence TED que la blockchain permettait de se passer d’intermédiaires institutionnels tels que les banques, les gouvernements, les maisons de disques, qui ralentissent les échanges, n’en garantissent pas la sécurité, en conservent le contrôle et surtout, en ponctionnent financièrement une partie : « Il y a un grand nombre de créateurs de contenu qui ne reçoivent pas de rémunération équitable parce que le système de la propriété intellectuelle est brisé. Il a été brisé par la première ère de l’internet. » 

Pour Don Tapscott, comme pour un certain nombre d’entreprises qui investissent aujourd’hui,  dans le secteur, la blockchain est la prochaine génération d’internet.

Preuve numérique

Le droit français a reconnu tardivement la blockchain. Son statut juridique est encadré par l’ordonnance du 8 décembre 2017, qui ne parle pas de « blobkchain » mais de DEEP (dispositif d’enregistrement électronique partagé). Dans les faits, concernant le droit d’auteur, le certificat d’une œuvre, daté et enregistré dans les « blocs », a surtout un effet « dissuasif ».

Pour le moment, aucun utilisateur d’Ipocamp n’a encore eu de contentieux. Mais récemment, l’un de leurs clients, un designer-plasticien, très actif sur Instagram, a remarqué qu’un autre instagrammeur s’était très fortement inspiré de l’un de ses modèles de bijoux. Pendant les négociations, la preuve de la paternité des bijoux, fourni par un certificat daté délivré par Ipocamp, a suffi à faire reculer le prétendu « plagiaire ». Ce dernier a aussitôt enlevé les modèles de bijoux concernés de son compte Instagram.

Pendant ce temps-là, en Chine…

Si la jurisprudence française est encore timide dans le domaine, la Chine a quelques années d’avance sur le sujet. En effet, la Cour Suprême a affirmé la recevabilité de preuves authentifiées par la technologie de la blockchain :« Les tribunaux Internet reconnaîtront les données numériques soumises comme preuve si les parties concernées ont collecté et stocké ces données via une blockchain avec signatures numériques, horodatages fiables, vérification de la valeur de hachage ou via une plateforme de dépôt numérique et qu’elles peuvent prouver l’authenticité de cette technologie ainsi utilisée »

En attendant, Ipocamp vient de signer un partenariat avec la Maison des artistes, qui compte près en 21 000 membres. Un signal fort que les choses avancent. Les nouvelles technologies, utilisées à bon escient, peuvent se mettre aux services des créateurs !

Décentraliser le web

Demain, la blockchain pourrait permettre de rémunérer chaque créateur, simplement, en comptabilisant le nombres de clics des utilisateurs. Il incomberait alors aux créateurs d’enregistrer leurs créations directement dans la blockchain.

L’internet de demain pourrait alors dessiner une redistribution des revenus plus équitable, en se passant d’intermédiaire. Un procédé transparent, traçable et proportionnel au talent de chacun. Cette reprise de contrôle par les plus concernés, les internautes, semble indispensable pour rééquilibrer la domination actuelle des GAFA. La blockchain permettrait ici de renverser un peu la vapeur.

Des recherches sont en cours pour tenter de rémunérer directement tous les auteurs d’une musique ou d’un jeu vidéo. La redistribution à chaque participant de l’œuvre, proportionnellement à son travail, est encore un frein à la solution miracle. L’enjeu est pourtant de taille.

L’une des principales institutions intéressées, la SACEM (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) réfléchit actuellement à la mise en place de « smart contract ». Elle s’est associée avec l’entreprise américaine Ascap et la société britannique PRS for Music, en collaboration avec IBM : ces sociétés de gestion collective de droits d’auteur souhaitent s’unir autour dans leur gestion des données des droits d’auteur. La technologie de la blockchain permettrait ici de répondre aux enjeux liés aux conflits d’identifiants autour d’une même œuvre pour de multiples ayants-droit.