La question de la souveraineté de l’Etat français, à l’ère du tout numérique, ne cesse de se poser. Mais, dans cette période de tensions avec les GAFA, les fonctions régaliennes de l’Etat doivent, plus que jamais, être sauvegardée par des lois ad hoc. Dans ce contexte, une commission parlementaire, lancée par des Sénateurs des Républicains, interroge le présent et l’avenir de la souveraineté numérique de la France.
Le développement des solutions numériques, à toutes les échelles de la vie d’un individu et d’un Etat, pose de grandes questions de société. La France est actuellement au cœur de ces problématiques, à la pointe de la lutte contre l’influence des GAFA dans l’Union Européenne, ou dans sa volonté de se constituer une puissance de recherche dans les technologies les plus innovantes.
« Le numérique représente le nouvel outil de puissance et de souveraineté »
Une récente tribune de Nathalie Chiche, présidente de Data Expert & DPO externe, et de David Fayon, Consultant Transformation Digitale, auteur de Made in Silicon Valley, reprenait ces grandes questions, au regard de l’actualité récente : « Aujourd’hui, le numérique représente le nouvel outil de puissance et de souveraineté. En témoigne la fin de non-recevoir d’acteurs très puissants (Amazon et Alibaba) refusant de signer la Charte de bonne conduite des acteurs du e-commerce présentée par Mounir Mahjoubi mardi dernier (le 26 mars 2019, NDLR), afin d’instaurer un cadre de confiance entre plateformes et TPE/PME » attaquaient les auteurs du texte.
Car le problème central est bien là : à force de créer les cadres transnationaux dans lequel se déploient leurs innovations et leur commerce, de nombreux grands groupes du numérique finissent par devenir plus puissants que les Etats, et ces derniers n’ont parfois plus la capacité de limiter ou réguler leur influence.
Une commission d’enquête sénatoriale sur le sujet
C’est notamment le cas « dans le domaine fiscal, la difficulté de taxer pour les profits réalisés les GAFA et autres géants du numérique qui, en situation de quasi-monopole, répercutent les taxations sur leur prix de vente et pénalisent in fine les PME françaises et les particuliers qui supportent le manque à gagner de l’Etat » écrivent Nathalie Chiche et David Fayon.
Certains élus estiment même que la France a déjà perdu une partie de sa souveraineté numérique et doit la reconquérir, en particulier sur le front des fonctions régaliennes. Des Sénateurs issus des Républicains ont ainsi lancé une commission d’enquête sur le sujet, qui a été validée par la commission des lois du Sénat.
Une remise en cause de « l’exercice par l’État de ses fonctions régaliennes » ?
Cette commission se donne pour mission d’enquêter « sur les conditions dans lesquelles l’évolution des technologies numériques remet en cause l’exercice par l’État de ses fonctions régaliennes, en matière de sécurité, de défense, de pouvoir normatif, de fiscalité et de monnaie, et sur les moyens dont dispose la puissance publique pour reconquérir une telle souveraineté numérique », précise le rapport.
Les Sénateurs pointent ainsi cet « écosystème numérique, contrôlé et façonné par une poignée d’acteurs, toujours plus puissants, qui écrasent les marchés et nous placent en situation de dépendance technologique, édictent leurs propres normes, poursuivent leurs propres objectifs et servent leurs propres intérêts ».
Une reprise en main est nécessaire, mais est-elle possible ?
Plusieurs exemples sont donnés de cette perte de contrôle : le droit du travail, le droit des contrats et de la propriétés intellectuelle, la fiscalité, via les nombreuses techniques d’optimisation et d’évasion fiscales auxquelles sont rompus les géants du numérique, et même la monnaie, via les crypto-monnaies sans organe central de régulation.
Le rapport évoque les risques sur les processus électoraux, et les dangersde piratage pesant sur les infrastructures stratégiques, surtout dans un contexte mondial où la cyberguerre est une réalité.
Ces tribunes et ces enquêtes sont une bonne nouvelle, car elles marquent une véritable prise de conscience. Pour autant, elles ne sauraient suffire si elles ne sont pas suivies de vigoureuses mesures, afin que l’Etat français reprenne la main dans un domaine clé de l’évolution de notre démocratie.