La Brigade Anti-Discrimination sur Facebook : un écran de fumée ?

La Brigade Anti-Discrimination sur Facebook : un écran de fumée ?
Cybercriminalité

Le 15 avril dernier, le siège de Facebook France à Paris accueillait l’inauguration d’une initiative gouvernementale portée par Marlène Schiappa, secrétaire d’État à l’Egalité entre les femmes et les hommes et à la Lutte contre les discriminations, et Julien Denormandie, ministre chargé de la Ville et du Logement.

Cette initiative, baptisée Brigade anti-discriminations ou BADI, aura trois missions principales selon la page qui lui est consacrée sur le site du gouvernement: « faciliter la mise en relation entre les victimes et les acteurs de la lutte anti-discriminations », « sensibiliser toute la population aux différentes discriminations qui persistent dans la société » et enfin « évaluer les politiques publiques en matière de lutte contre les discriminations et proposer des mesures concrètes et efficaces pour les améliorer ».

Une « brigade » déployée sur une page Facebook

Si le terme de « brigade » est évocateur et la description de l’initiative intéressante, il ne s’agit en fait, concrètement, que d’une plateforme en ligne proposée aux internautes sous la forme d’une page Facebook. Les victimes de discriminations pourront y publier leurs témoignages afin de recevoir des « réponses circonstanciées » venant d’une « douzaine de salariés très compétents » de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine LGBT (Dilcrah), selon les dires du délégué interministériel lui-même Frédéric Potier.

Huit autres associations luttant contre le racisme, l’homophobie, l’exclusion sociale et l’inégalité homme-femme ont également annoncé leur contribution à cette plateforme, parmi lesquelles SOS Racisme, SOS Homophobie, la LICRA ou encore Femmes Solidaires.

Si le gouvernement annonce sobrement sur son site que « cette brigade est une idée citoyenne issue des contributions au grand débat national », le Huffington Post nous rappelle que l’idée de cette plateforme a germé au cours du débat télévisé co-animé par Marlène Schiappa et l’animateur Cyril Hanouna le 26 janvier dernier. L’ironie de la naissance d’une initiative anti-discrimination sur le plateau d’une émission aussi controversée justement à cause des accusations sexistes et homophobes dont elle a fait l’objet n’aura bien sûr échappé à personne.

« Les gens meurent des discriminations, et Mme Schiappa nous apprend à composer le 112 »

Mais que vaut réellement cette initiative ? La proposition d’une plateforme de mise en relation entre victimes et associations a-t-elle un vrai poids dans la lutte contre les discriminations qui sévissent de plus en plus en ligne? Il semble difficile de trouver une véritable pertinence à l’instauration d’un « facilitateur de mise en contact avec les associations et les dispositifs légaux existants » comme le décrit Marlène Schiappa, si l’efficacité même de ces dispositifs existants est remise en cause. D’autant plus si, comme l’indique SOS Homophobie, « les victimes de discrimination renoncent à se rendre dans les commissariats de peur d’être mal reçues. »

Ainsi, SOS Homophobie demande au gouvernement de ne pas se contenter de cette plateforme et que des « référents soient mis en place dans les commissariats », tandis que Les Maisons des Potes préconise le déploiement d’une « brigade d’officiers de police judiciaire dans chaque SRPJ de France et un magistrat spécialisé dans chaque cour d’appel ». Des mesures aux impacts sensiblement plus tangibles que ceux de l’initiative proposée par le gouvernement, que certains qualifient, probablement à juste titre, de simple coup de communication. « Les gens meurent des discriminations, et Mme Schiappa nous apprend à composer le 112 » a même déclaré Guillaume Mélanie, président de l’association Urgence homophobie.

D’autres mesures plus intéressantes pour lutter contre les cyberviolences

Pour une initiative lancée sur un outil tel qu’une page Facebook, l’on aurait pu s’attendre à ce que l’accent soit mis sur un type de discrimination devenu un véritable fléau sur les réseaux sociaux : les cyberviolences. Or, le choix d’un réseau social comme Facebook ne semble ici réduit qu’à la volonté du gouvernement de “dédramatiser le contact institutionnel”, selon Marlène Schiappa.

Cependant, le gouvernement a plus d’un tour dans son sac. Bien plus intéressante – et probablement plus efficace – que la BADI, l’annonce du grand plan de lutte contre le racisme et l’antisémitisme essentiellement axé sur les réseaux sociaux par le Premier Ministre Edouard Philippe en mars dernier avait d’ailleurs apporté la promesse de mesures ambitieuses. Des mesures nécessitant des modifications de la législation européenne, accompagnées d’un avertissement par le Premier Ministre sur les délais de leur mise en œuvre.

Mais ces mesures étaient également porteuses de velléités d’évolution de la loi française sur le sujet, notamment sur l’obligation des plates-formes à être juridiquement représentées en France, l’autorisation des enquêtes sous pseudonyme ou encore la suppression plus rapide des comptes incriminés. Ce plan avait d’ailleurs donné naissance à une proposition de loi enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 mars dernier. L’on attend donc avec impatience les retombées de cette proposition de loi, qui devrait être débattue en Juin à l’Assemblée.