Dans cette période décisive qui précède la publication de la future loi sur l’audiovisuel, les chaînes qui diffusent des contenus sportifs viennent de faire des propositions concrètes à l’exécutif, issues de leur expérience, pour lutter contre le streaming illégal. Le but : que la France dispose, enfin, d’un arsenal juridique efficace pour enrayer ce phénomène.
Le streaming sportif illégal ne cesse de prendre de l’importance en France. Chaque mois, environ 1,8 millions de personnes regardent au moins un événement sportif via un site pirate. Cela génère un manque à gagner conséquent, tant pour les chaînes de télévision que pour les ligues et fédérations sportives.
« Des effets collatéraux sur tout l’écosystème du sport »
Canal+ estime ainsi que ce phénomène lui coûte environ 500 000 abonnés, et un manque à gagner d’environ 250 millions d’euros annuels, que la chaîne ne peut pas réinvestir dans la culture ou le sport. « Il y a en outre des effets collatéraux sur tout l’écosystème du sport qui vont bien au-delà des dommages faits aux chaînes » expose Caroline Guenneteau, directrice juridique de beIN Sports France. Ce sont des écosystèmes entiers qui tendent à être menacés.
Le gouvernement planche actuellement sur l’une des lois phares du quinquennat, celle qui va redessiner le cadre juridique de l’audiovisuel en France. Cette fameuse loi audiovisuelle est en cours de rédaction, et devrait être présenté à l’Assemblée Nationale cet été. Parmi les nombreux sujets qu’elle va balayer, celui du piratage est l’un des plus épineux.
Quel arsenal législatif apportera la nouvelle loi sur l’audiovisuel ?
Car, si les techniques de piratage sont particulièrement bien connues, les méthodes efficaces pour les attaquer manquent. L’Hadopi (Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet) va être pour cela doté de nouveaux pouvoirs, notamment pour viser plus spécifiquement le streaming illégal.
Il semble acquis que le gouvernement va permettre de fermer automatiquement les sites miroirs et les clones de plateformes officiellement interdites. Une mesure de bon sens, qui facilitera la lutte globale contre le streaming illégal.
Le cas particulier du sport
Mais pour le cas particulier des contenus sportifs, aucune mesure phare n’a été pour l’heure mise en avant. L’adversaire est particulièrement délicat à saisir, ce qui rend le combat entre les ayants-droits et les pirates inégal et complexe, comme un jeu de chat et de souris, où le chat aurait les yeux bandés et deux tonnes de plomb dans les poches. « Dans le sport, la notion d’exclusivité ne dure qu’une heure et demie, il faut aller vite », précise notamment Didier Quillot, directeur de la Ligue de football professionnel.
C’est pour cette raison que les chaînes diffusant des contenus sportifs ont décidé d’interpeler directement le gouvernement, pour proposer des mesures issues de leur expérience – et éviter ainsi que la loi ne contienne des propositions inefficaces ou inapplicables.
« Assécher les sources de criminalité »
Réunies depuis janvier 2018 au sein de l’Association pour la protection des programmes sportifs (APPS) et aidées par l’ALPA (Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle), elles veulent clairement cibler les sites pirates – et ne plus criminaliser les usagers. « Avant, on tapait sur l’internaute pirate avec la riposte graduée. Ce qu’on propose désormais est d’assécher les sources de criminalité, c’est plus consensuel » détaille Christophe Witchitz, directeur des affaires publiques de Canal+
L’APPS propose ainsi au gouvernement de s’inspirer des exemples britanniques ou portugais : une législation ad hoc permet en effet de viser des sites ou des URL dès le début d’un match, et de les bloquer à la fois auprès des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) et des plateformes de liens. Sous peine de subir des représailles salées. Les sites diffusant les contenus étant terriblement difficile à identifier et à attaquer, l’idée est d’empêcher l’internaute français d’y parvenir, en bloquant les chemins d’accès.
Bloquer l’accès aux contenus, via les FAI et les plateformes
Le but est que la loi française permette « d’obtenir du juge, dans un contexte de réactivité quasi en direct, des « blocking orders » pour les adresses DNS que l’on solliciterait notamment auprès des FAI. C’est la solution qui nous paraît la plus efficace techniquement et juridiquement. Techniquement d’abord parce que cela nous évite d’avoir à identifier le propriétaire du site : nous identifierons bien les sites en question, mais nous nous adresserons aux fournisseurs d’accès pour qu’ils coupent les adresses DNS de ces sites ou nous nous adresserons aux serveurs pour qu’ils coupent les adresses qu’ils hébergent », comme nous l’expliquait le mois dernier Caroline Guenneteau.
Enjeu numéro 1 : contraindre les FAI à vraiment collaborer
La question centrale est d’ailleurs peut-être là : comment contraindre les FAI à collaborer à la lutte contre le streaming illégal. Car, comme le rappelle Didier Quillot, « jusqu’à présent, on ne peut pas trop compter sur les fournisseurs d’accès à Internet pour lutter contre le piratage. En France, à la différence d’autres pays, la plupart sont frileux à agir dans la mesure où ils ne sont pas opérateurs de télévision payante dans le sport eux-mêmes ».
Seul une loi forte et contraignante semble capable de réaliser ce tour de force. C’est là tout l’enjeu des semaines qui viennent, dans un bras de fer entre FAI et ayants-droits. Affaire à suivre de très près.