Cohérence, Adblock, Digital Ad Trust… Pour Rude Baguette, Quentin Delobelle, Directeur Communication commerciale et de la création d’Orange France revient sur les enjeux auxquels font face les entreprises lors du lancement d’une campagne publicitaire.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’importance de maintenir ou non une certaine cohérence lors du lancement d’une campagne publicitaire sur différents médias (Internet, presse, TV, etc.) ?
Il faut jouer habilement avec cette notion de cohérence. L’idée, ce n’est pas, par exemple, d’avoir une copie télé avec une certaine forme, un certain message, et de la reproduire à l’identique sur les autres médias. Je pense notamment au digital. Nous, chez Orange, nous croyons beaucoup dans le couple télé-digital. Si vous prenez juste votre spot télé et que vous le postez sur YouTube ou DailyMotion, cela ne vous apportera pas grand-chose. Vous ne gagnerez qu’un supplément d’audience sur des cibles qui regardent moins la télé, notamment les fameux Millenials, la génération Z.
Parmi
les techniques qui sont possibles, citons la synchronisation entre le spot télé
et le digital. Aujourd’hui, de plus en plus de gens regardent la télé en surfant sur leur smartphone en même temps. Donc ce
qui est intéressant, c’est qu’au moment de diffuser votre
copie télé, en racontant une belle histoire, un storytelling de belle facture,
qui embarquera les gens dans une belle histoire avec votre marque. Et,
dans le même temps, comme ils ont leur smartphone dans les mains et qu’il y a
de fortes chances qu’ils soient sur les réseaux sociaux, vous puissiez adresser sur ces réseaux sociaux un
complément d’information, peut-être un peu plus centré sur le produit, qui va
permettre de ferrer le téléspectateur avec un double message, un message de
marque et un message de produit.
Sur les autres médias, c’est important d’avoir une cohérence. La règle numéro 1 en communication et en publicité, c’est de n’avoir qu’un seul message et le répéter sur les différents points de contact. Donc l’idée c’est d’adapter créativement votre message aux caractéristiques de chacun des médias. En effet, le contrat de lecture ou de consommation d’un média n’est pas le même selon qu’on regarde la télé et qu’on voie un spot de pub, qu’on lise la presse et qu’on soit exposé à une page de pub presse, qu’on passe dans la rue et qu’on voie un affichage, qu’on passe dans une boutique ou qu’on soit en voiture et qu’on entende un spot radio. Donc, il faut être assez subtil pour que le message soit toujours le même, mais avec des adaptations en fonction des caractéristiques du média.
Existe-t-il des supports/médias que Orange blackliste par principe, car le message ne serait pas cohérent avec l’image de la marque ?
Comme ça, je dirais que non. Je n’ai pas en tête de support qu’on ait blacklisté, si ce n’est, par exemple, s’il se passe quelque chose de très grave sur une chaîne télé, qu’un animateur dérape, à ce moment-là, oui, ça peut nous arriver de demander qu’un spot télé ne passe pas sur une chaîne ou autour d’une certaine émission. Ça nous est déjà arrivé, et nous ne sommes pas les seuls : on a en tête les épisodes Hanouna de l’année dernière. Typiquement, ce sont des choses qu’on peut faire.
Nous faisons également attention à ce que les lignes éditoriales des supports dans lesquels nous annonçons soient convenables. Après, il existe un domaine qui n’est pas contrôlable — encore que, cela se met en place aussi —, c’est tout ce qui est digital : évidemment, nous ne voulons pas nous trouver en préroll d’une vidéo douteuse, voire monstrueuse. C’est pour cela que nous avons adhéré à la démarche Digital Ad Trust.
Pouvez-vous nous rappeler les tenants et aboutissants de la démarche Digital Ad Trust ?
Digital Ad Trust est un label qui a été monté par le SRI (Syndicat des régies Internet), l’UDM (Union des Marques), le GESTE (Groupement des éditeurs de contenus et de services en ligne), l’IAB France (Interactive Advertising Bureau France), l’UDECAM (Union Des Entreprises de Conseil et Achat Média) et l’ARPP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité). Son rôle est d’instaurer un label de qualité qui va être décerné aux éditeurs. Ces derniers vont accepter d’être audités, à travers cinq objectifs majeurs qui sont la brand safety (s’assurer que sa marque ne risque rien en matière d’image), la garantie d’une certaine visibilité, la lutte contre la fraude, la garantie d’une certaine expérience utilisateur et, bien entendu, tout ce qui est data privacy.
Les sites Web vont ainsi être audités sur ces cinq fondamentaux et vont pouvoir bénéficier, ou non, de ce label Digital Ad Trust qui est, pour les annonceurs, un gage de qualité en termes de supports sur lesquels annoncer. Aujourd’hui, environ 110 sites sont labellisés, et leur nombre ne cesse de croître. L’essentiel des sites avec lesquels nous avons l’habitude de travailler sont labellisés Digital Ad Trust.
Est-ce que ce label s’applique également aux régies publicitaires Web comme Google Adsense ?
Google n’est pas labellisé Digital Ad Trust. Et, entre nous, si ce label a été mis en place, c’est aussi pour faire face aux GAFA, parce qu’aujourd’hui une part très importante des investissements digitaux se fait chez les géants du net, et en particulier sur les réseaux sociaux, où là, effectivement, la maîtrise est loin d’être évidente. Facebook ou Google indiquent qu’ils ne sont pas éditeurs, et donc qu’ils ne sont pas responsables de leurs contenus.
Ce
label vient d’une prise de conscience des éditeurs français qu’ils devaient
faire face à des parts d’investissement de plus en plus importantes chez les
GAFA. Ce qui est bien, c’est qu’ils ont choisi le créneau de la qualité, ils ne
se sont pas assis dans un coin pour pleurer, ils ont pris les choses en main,
et ont monté ce label, qui devient un gage de qualité pour les annonceurs.
Nous, dans notre politique d’achat, il est clair que l’on va favoriser les
sites labellisés Digital Ad Trust. Aujourd’hui il n’y a pas 100 % des
sites avec lesquels nous travaillons qui le sont, mais une majorité. Après, ça reste important d’annoncer sur Facebook,
Google et tous les autres réseaux sociaux, cela
dépend des objectifs et des cibles. Mais je crois que nous sommes un peu
atypiques sur le marché, annonçant un peu moins sur ces plateformes que la
moyenne des autres marques.
La tendance est donc de délaisser les régies comme Google Adsense, qui offre un avantage quantitatif, mais pas 100 % fiable*, au profit d’une démarche plus qualitative ?
La tendance est surtout d’être exigeant. Ça démarre par une démarche qualitative, et ça pourra très bien aboutir, si cela fonctionne, à une démarche plus quantitative. Ce que l’on souhaite, c’est que nos messages soient vus, et pas aux côtés d’articles douteux ou de vidéos monstrueuses, mais on veut aussi qu’ils soient vus.
Digital Ad Trust, c’est du contrôle a priori. Les acteurs qui ne sont pas Digital Ad Trust, c’est plutôt du contrôle a posteriori. Cela nous arrive de repérer des choses problématiques et de les faire valoir auprès des régies.
* Des publicités administrées par Google Adsense ont été identifiées à plusieurs reprises sur différents sites de streaming illégaux (source : Mediapart)
La présence de bloqueurs de publicité sur le Web oblige-t-elle la publicité à se réinventer ?
Je crois qu’il doit y avoir en moyenne 30 % des internautes qui utilisent des Adblock. Chez les jeunes, cela atteint des taux encore plus impressionnants, de l’ordre de 50 %. Donc c’est un vrai sujet : on travaille, on élabore des messages, on fait des créations, qui ne sont pas vues. C’est un vrai problème, mais on ne peut s’en prendre qu’à nous-mêmes. Comme pour les éditeurs, on ne va pas s’asseoir dans un coin et pleurer, il faut que l’on travaille dessus, que l’on travaille sur la création, créer des messages et des pubs qui ne soient pas trop intrusives.
Il faut réussir à piquer l’intérêt des gens. Je suis d’une génération où l’on passait des nuits au Grand Rex à regarder La Nuit des Publivores. On n’attendait même pas qu’elles passent à la télé, on allait dans une grande salle pour en voir toute la nuit. Je trouve cela triste que les gens rejettent la pub.
Il y a un mouvement, en ce moment, que je trouve très intéressant, autour du storytelling, autour de la création. Des marques qu’on n’attendait pas forcément sur ce créneau se mettent à écrire de belles histoires, je pense notamment à Intermarché, je pense globalement à la distribution — ce n’était pas évident, parce qu’ils étaient plutôt habitués à faire des messages « produit », et désormais, ils arrivent à créer de belles histoires, même dans la distribution spécialisée — Leroy-Merlin par exemple. Nous assistons à un retour à de belles créations, de belles histoires, qui va plutôt dans le bon sens. Et, à côté de cela, il y a aussi tout le Brand Content, dont l’essence même est de s’inscrire dans les centres d’intérêt des gens. Donc il y a un travail à faire en termes de création et de formats publicitaires, pour éviter notamment une forme d’agressivité et des pubs intrusives sur Internet.