Aux Etats-Unis, la justice vient d’épingler lourdement Qualcomm. Le géant des semi-conducteurs est sommé de changer ses pratiques visant à éteindre la concurrence. Ses accords d’exclusivité avec les fabricants permettaient notamment au fondeur d’imposer ses produits, et les faire payer le prix fort.
Bis repetita. Après la Chine, la Corée du Sud et l’Europe, la justice des Etats-Unis tombe sur le râble de Qualcomm. Le géant des semi-conducteurs paye ses pratiques commerciales agressives, et sa façon d’imposer ses produits, notamment les puces modem, aux fabricants de smartphone, étranglant de fait tout embryon de concurrence. Le schéma est classique : posséder un excellent produit, forcer les fabricants à signer des contrats de licence en exclusivité (sur plusieurs années) pour en profiter, et regarder la concurrence mourir.
Domination sans partage sur les puces modem
En 2015, 2016 et 2018, Qualcomm avait été successivement condamné par le gouvernement chinois, la justice coréenne et la Commission Européenne, pour abus de position dominante. Avec, à chaque fois, des amendes d’environ 1 milliards de dollars à la clé.
Cette fois, la décision émane de la justice de son pays, les Etats-Unis. Elle concerne spécifiquement les puces modem, dont Qualcomm domine outrageusement le marché des smartphones. Plus encore que celui des processeurs, où le top 3 des ventes mondiales (Samsung, Huawei et Apple) fabrique ses propres SoC – même si Qualcomme fournit la quasi-totalité des autres constructeurs.
Concernant les puces modem, qu’il s’agisse de la technologie CDMA (développée par Qualcomm) ou la technologie LTE, le fondeur américain s’est mis en situation de quasi-monopole. Il a notamment signé des accords d’exclusivité avec Apple, Samsung, LGE, BlackBerry et Vivo ; il en a proposé également à Motorola et Lenovo. Seul Huawei (et sa filiale Honor) fabriquent à grande échelle leurs propres puces modem.
Qualcomm a « étranglé la concurrence »
La Cour de Justice de District de Californie a donc sévèrement tapé sur les doigts de Qualcomm, intimant le géant des semi-conducteurs de laisser un peu de place aux autres : « Les pratiques de Qualcomm en matière de licences ont étranglé la concurrence sur les marchés des puces CDMA et des puces modem LTE haut de gamme pendant des années, ce qui a nui aux concurrents, aux équipementiers et aux consommateurs finaux », a déclaré Lucy Koh, juge à la Cour de District.
La justice a ainsi rendu cinq ordonnances que Qualcomm devra respecter, sous peine de subir de (très lourdes) amendes. Le fondeur devra notamment renégocier tous ses contrats de licence, et en retirer toutes les menaces de couper l’approvisionnement ou le support technique en cas de recours à la concurrence. Qualcomm a également ordre de mettre ses licences de brevet à la disposition des autres fournisseurs de puces modem à des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires.
En finir avec les contrats d’exclusivité
Qualcomm devra aussi mettre fin à l’ensemble de ses contrats d’exclusivité, véritable poison de la concurrence, qui permette au fondeur de pratiquer des prix particulièrement élevés : « Les accords d’exclusivité sont particulièrement lourds sur les marchés, comme celui des puces modernes, qui sont ‘très concentrés’ avec peu d’acteurs… étant donné la concentration sur le marché, les accords d’exclusivité avec Apple pourraient éliminer la concurrence » a affirmé Lucy Koh.
Sur ce dernier point, tous les regards se sont tournés vers Intel. Le fabriquant de semi-conducteurs américain développait jusque récemment des puces modem 5G ; il devait fournir les futurs iPhones, Apple étant à l’époque en guerre ouverte avec Qualcomm.
Mais les retards accumulés par Intel sur cette question ont fait craindre à Tim Cook et son équipe d’avoir une connectivité 5G inférieure à la concurrence, forçant de fait Apple à revenir dans les bras de Qualcomm. L’accord commercial entre les deux géants américains avait précédé, de peu, l’annonce par Intel de la fin de ses projets de développement de puces 5G.
La concurrence va-t-elle se relever ?
L’affaire est emblématique des graves problèmes que posent la position ultra-dominnante de Qualcomm sur ce marché. La concurrence est faible, et propose des produits nettement moins performants, dissuadant la majorité des constructeurs d’opter pour une autre solution. Les ordonnances de la Cour de District visent à changer cet état de fait. Qualcomm devra d’ailleurs fournir des rapports de conformité et de surveillance à la Federal Trade Commission (FTC) pour les sept prochaines années afin de démontrer son respect des ordonnances du juge.
Seul problème : le retard des concurrents semble tellement important qu’il faudra sans doute un certain temps avant de voir émerger des alternatives viables aux produits du fondeur américain. Pour autant, avec en poche les brevets de Qualcomm, on peut penser que Nvidia ou Intel devraient, à terme, pouvoir enfin développer des puces convaincantes. Affaire à suivre.