Dagoma, un des leaders français de l’impression 3D, a lancé une vigoureuse et nécessaire croisade contre les impressions d’armes à feu – une des dérives les plus dangereuses de cette technologie. Entre plans truqués pour ne pas fonctionner et logiciel dopé à l’IA bloquant l’impression d’armes sur les machines, Matthieu Régnier, Gauthier Vignon et leur équipe défendent leur vision éthique. Un exemple à suivre.
Des dérives possibles des technologies émergentes, celle de l’impression d’armes à feu par une imprimante 3D est l’une des plus problématiques. Si aucun cas de ce genre n’a été signalé en France, deux condamnations ont déjà eu lieu pour un tel délit, une au Japon, l’autre au Royaume-Uni. Ce dernier cas est le plus récent : le 20 juin 2019, un Britannique de 26 ans a été condamné pour avoir fabriqué une arme létale à partir d’une imprimante 3D. Sa peine sera connue le 9 août.
Des armes à feu en plastique, donc indétectables et intraçables…
Les professionnels de l’impression 3D doivent donc intégrer une vraie démarche éthique pour contrer ces mauvaises utilisations de leur technologie. La start-up Dagoma, championne française de l’impression 3D, a décidé d’aller plus loin.
« Est-ce qu’on peut fabriquer une arme ? C’est la question que nous posaient invariablement les clients dans tous les salons high-tech. On était obligés de répondre par l’affirmative puisque, même en plastique, une arme peut effectivement être fonctionnelle. En plus, elle est indétectable et intraçable » détaille Matthieu Régnier, cofondateur de Dagoma avec Gauthier Vignon, lors d’une passionnante rencontre avec nos collègues du Parisien.
#ArmesInoffensives : mission sabotage pour Dagoma !
Face au risque de voir se multiplier ces « pistolets fantômes », les deux hommes ont décidé de passer à l’offensive. En janvier 2019, ils lancent l’opération #ArmesInoffensives, aux cotés de l’agence TBWA. Une riposte qui rappelle des films d’espionnage, ou les meilleures heures de Mission Impossible.
Première cible : les plans et tutoriels qui pullulent sur le net pour fabriquer soi-même des armes fantômes avec une imprimante 3D. « En une heure seulement on a téléchargé plus de 500 fichiers d’impression d’armes, c’est effarant ! On en a modifié des détails, la taille du barillet, les épaisseurs de gâchettes ou les crosses. C’est insignifiant, on ne voit rien à l’œil nu mais une fois imprimées en 3D, l’assemblage des pièces est impossible » se félicite Matthieu Régnier.
Seconde étape : diffuser ces plans minés le plus largement possible, pour qu’ils remplacent les originaux. « On a reposté les fichiers modifiés et, après quelques jours, il y avait 13 000 téléchargements. On se dit qu’avec ce que ça coûte [d’imprimer et de monter une arme à feu en 3D, NDLR], en temps et en argent, il y a de quoi en décourager certains », se félicite le jeune entrepreneur. Une veille régulière leur permet de faire subir le même sort aux nouveaux plans émergents des tréfonds du dark web…
« Désolé, ça ne respecte pas les conditions générales d’utilisation de nos produits »
Mais les deux trentenaires ont décidé d’aller plus loin. Ils ont développé un logiciel s’appuyant sur la reconnaissance d’objets, via un algorithme d’intelligence artificielle. Le principe : identifier un plan visant à construire une arme à feu (ou une pièce-clé d’une arme à feu).
« On a sécurisé nos imprimantes en y insérant ce logiciel. Si l’utilisateur importe un fichier d’arme, il reçoit pour réponse : Désolé, ça ne respecte pas les conditions générales d’utilisation de nos produits, et l’imprimante refuse alors d’importer le fichier. Enfin et surtout, on l’a mis à disposition en open-source, c’est-à-dire gratuitement, pour que d’autres fabricants puissent se joindre à la cause », précise Matthieu Régnier.
Dans le petit monde de l’impression 3D, ces deux prophètes d’un nouveau genre veulent porter la bonne parole auprès de leurs collègues. En France, imprimer une arme à feu en 3D est passible d’une peine de prison de 5 ans et d’une amende de 75 000 euros.