Coup sur coup, deux importantes associations d’accompagnement des femmes victimes de harcèlement (cyber ou de rue) viennent de cesser le suivi de victimes. A chaque fois faute de moyens. Une preuve du désintérêt des pouvoirs publics de ces associations au rôle crucial. Une inquiétante nouvelle.
Le 23 juin 2019, après 7 ans d’efforts constants, le Tumblr « Paye ta schnek », mené par la cybermilitante Anaïs Bourdet, a fermé ses portes. La page recensait, à l’origine, des témoignages de femmes harcelées dans l’espace public. Elle a, par la suite, ajouté les violences sexuelles et sexistes.
« Je n’y arrive plus. Je n’arrive plus à lire vos témoignages et à les digérer »
« C’est avec beaucoup de tristesse, mais aussi de soulagement, que je tire ma révérence. Merci pour tout ce que vous m’avez permis de vivre, apporté, appris, fait découvrir, et pour toutes ces belles amitiés qui, elles, continueront encore longtemps » a écrit Anaïs Bourdet dans le tweet qui annonçait la fin de ses activités. « Je n’en peux plus. Je n’y arrive plus. Je n’arrive plus à lire vos témoignages et à les digérer » précise-t-elle.
Le 11 juillet 2019, c’est l’association Féministes contre le cyberharcèlement qui a décidé de restreindre ses activités, comme l’exposent nos collègues de Numerama dans une belle enquête.
Plus d’accompagnement des victimes pour Féministes contre le cyberharcèlement
Créée en 2015, elle a pour vocation de sensibiliser aux cyberviolences et de publier des guides ou outils à destination des victimes. « Nous ne serons plus en mesure de prendre en charge l’accompagnement des victimes de cyberviolences qui nous sollicitent », a écrit l’équipe de bénévoles de l’association, victime d’un épuisement militant.
A la base, l’association n’avait pas pour vocation d’accompagner les victimes. Mais, faute de structures efficaces pour le faire, les 5 bénévoles ont décidé de prendre en charge cet imposant fardeau. Sans rémunération, en plus de leurs emplois respectifs et de leurs vies personnelles.
Une explosion de travail, sans soutien ni financement
En effet, la majorité des associations sur le cyberharcèlement s’adressent avant tout à des adolescents ou des enfants. Et les écoutants des numéros d’appel sur le sujet manquent souvent de formation, notamment dans le domaine législatif. Féministes contre le cyberharcèlement s’est retrouvé en première ligne car elle disposait des meilleurs personnes pour le faire.
De nombreuses associations leur ont ainsi renvoyé des victimes. Chaque nouvelle affaire médiatisées en amenaient d’autres. Dans un monde idéal, l’association, au rôle crucial, aurait été soutenue par des financements ou des fonds publics. Mais les premières demandes n’ont jamais abouti. Et, au bout d’un moment, les 5 bénévoles n’avaient plus le temps de monter des dossiers de financement souvent complexes.
« #PayeTonBurnOutMilitant quand tu commences ta deuxième journée de travail chaque soir à 19h00 et que tu sais que tu ne seras jamais rémunérée pour toutes ces heures passées à pallier les défaillances de l’État » a tweeté avec rage l’une des fondatrices de l’association, Laure Salmona.
Le gouvernement lourdement pointé du doigt
Le gouvernement est clairement pointé du doigt : au-delà des effets d’annonce, le soutien aux militants de terrain est lourdement insuffisant. Pire, de nombreuses associations ont vu leurs aides et subventions réduites ou coupées. Pour ne rien arranger, des militantes révèlent que des ministres font régulièrement pression sur les associations pour qu’elles ne disent pas trop de mal du gouvernement sur les réseaux sociaux – étant soutenues par des fonds publics, elles se trouvent ainsi muselées.
Les 5 membres de Féministes contre le cyberharcèlement ont au moins récupéré leur liberté de parole : « On espère que les pouvoirs publics finiront par faire quelque chose. Il faudrait au moins financer des formations pour les écoutants ou associations déjà en place. Elles non plus, n’ont plus de moyens car les subventions ont été coupées », expose Laure Salmona à Numerama.
Une « start-up nation » qui ne soutient pas les associations de terrain
C’est là une des grandes failles de ce gouvernement voulant faire de la France une « start-up nation », mais qui assèche le soutien public aux associations de terrain (baisses de subventions, fin des emplois aidés…), sans les remplacer par des structures publiques efficaces.
Pourtant, ce sont ces militantes et militants qui sont en première ligne. Les victimes ont besoin de ce soutien, de cette écoute, pour continuer de libérer la parole et de lutter contre le harcèlement et les violences sexuelles ou sexistes. Ce gouvernement saura-t-il prendre la mesure de l’urgence de la situation et de ce manque cruel de moyens pour la base militante ?