La loi contre la haine sur Internet, adoptée par l’Assemblée Nationale française début juillet 2019, a suscité de vives réactions, notamment à l’international où un rapporteur de l’ONU a fait part de ses craintes, notamment sur une éventuelle modération confiée uniquement à des sociétés privées. Le gouvernement a défendu son texte, point par point.
Le 9 juillet 2019, au cours d’une copieuse cession estivale, l’Assemblée Nationale a adopté la loi portée par la député Laetitia Avia, relative à la lutte contre la haine sur Internet. Ce texte, vivement débattu, veut donner des moyens concrets et efficaces pour éviter la propagation de contenus haineux, violents, menaçants, notamment sur les réseaux sociaux – et les terribles conséquences qu’ils peuvent avoir.
Echanges de courriers entre l’ONU et le secrétariat d’Etat au numérique
Si personne n’a remis en cause le principe de cette loi, ses modalités ont été davantage critiquées. Une voix s’est ajoutée à ce concerts de doutes, en plein mois d’août 2019, venu du plus haut niveau international. C’est en effet le rapporteur spécial pour la promotion et la protection de la liberté d’opinion et d’expression de l’ONU, le britannique David Kaye, qui a écrit une lettre ouverte adressée au gouvernement français. Il y faisait part des craintes de l’institution onusienne sur les éventuelles dérives de ce texte.
Le 23 août 2019, le secrétariat d’Etat en charge du numérique lui a répondu, points par points, avec vigueur et clarté. La passe d’armes est passionnante, pour qui s’intéresse à ces questions délicates, notamment au regard du droit, de la liberté d’expression et de la délégation de la censure.
Le risque d’une « privatisation des fonctions judiciaires »
David Kaye commence en effet par évoquer les plate-formes numériques (au premier chef les réseaux sociaux), à qui la loi va imposer de modérer les contenus. « S’il est reconnu que les entreprises commerciales ont une responsabilité de respecter les droits de l’homme, les mesures de censure ne sauraient être déléguées à des entités privées. L’appréciation du caractère illicite des contenus haineux ne peut être confiée aux seuls opérateurs de plateformes, au risque d’induire une privatisation des fonctions judiciaires ». expose le rapporteur de l’ONU.
Le gouvernement rappelle alors finement que la législation, via la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), délègue déjà la modération à des sociétés « depuis plus de quinze ans », sans que cela n’ait « soulevé de problèmes majeurs d’application ».
Vers une « censure de précaution » ?
Mais David Kaye a d’autres inquiétudes. Cette pression mise sur les sociétés, obligées de réagir promptement (moins de 24 heures), craignant de lourdes sanctions, risque de les conduire à un recours massif à l’intelligence artificielle pour assurer cette modération.
Par ailleurs, ces situations « pourraient conduire les réseaux sociaux à surréguler l’expression, par mesure de précaution pour éviter de faire face à des amendes conséquentes. Une telle censure de précaution porterait atteinte au droit de chercher, de recevoir et transmettre des informations de toutes sortes sur Internet » , craint David Kaye.
Contrôler la modération des réseaux sociaux, vraiment ?
Sur cette question, les services de Cédric O précisent que des garde-fous vont être mis en place par le gouvernement pour encadrer les IA, et surtout vérifier que les actions de modération sont proportionnées.
Mais sur ce point précis, le gouvernement est clairement en porte-à-faux : dans les faits, il n’est pas certains que les grands groupes d’Internet acceptent de livrer leurs algorithme de modération, ni des cas d’usage pour vérifier que cette censure n’est pas excessive. Et quand bien même, les quantités d’informations à vérifier nécessiteraient un travail de titan.
Quelle garantie que la loi sera correctement appliquée ?
En revanche, le gouvernement est dans son rôle quand il rappelle que cette loi ne s’appliquera qu’aux plus gros acteurs (capables de mettre en place ces modérations à grande échelle) et, surtout, que le délai de 24 heures ne concernera que les contenus manifestement illégaux. « Par construction, il ne sera donc pas applicable pour des contenus qui soulèveront des questions d’appréciation » écrit le gouvernement. De là à dire que les réseaux sociaux n’utiliseront pas pour autant, par précaution, une technique de la terre brûlée par la censure, il y a un gouffre…