Suite à une série d’articles remettant en cause son management, sa politique financière et sa technologie, le moteur de recherche français Qwant vient d’annoncer un changement à sa tête. Son nouveau DG est Tristan Nitot, un ancien de Mozilla, chante de l’open source et des logiciels libres. Opération reconquête en marche ?
L’été a été rude pour l’enfant chéri de la French Tech et du gouvernement français. Porté à bout de bras par les autorités, qui veulent l’imposer à un maximum d’administrations, Qwant, le moteur de recherche frenchy à la protection de la vie privée optimale, est au cœur de la tourmente.
Qwant, enfant chéri des autorités et champion de la « souveraineté numérique »
Champion de la « souveraineté numérique » de l’Etat français, Qwant a bénéficié de financements de la Banque Européenne d’Investissement (25 millions d’euros) et de la Caisse des Dépôts (15 millions d’euros). Il est devenu le moteur de recherche par défaut de l’Assemblée nationale, du ministère des Armées, de la Ville de Paris, de plusieurs régions françaises et de plusieurs grandes entreprises, comme Thalès ou Safran.
Mais l’été 2019 a marqué un net coup d’arrêt pour le moteur de recherche, au moins en terme d’images. Les articles à charge se sont accumulés. En juillet, La Lettre A révèle que la Caisse des Dépôts était monté au créneau pour dénoncer les salaires « indécents » des cadres de l’entreprise, et la faiblesse de son chiffre d’affaire. Dans la foulée, Le Figaro pointe les pertes conséquentes de la start-up en 2018 (11,2 millions d’euros), et les doutes que le moteur de recherche suscite au sein de l’administration française, qui a lancé deux audits.
Accusations en boule de neige, articles à charge qui s’enchaînent
En août Next INpact met en évidence les résultats de recherche de Qwant, souvent datés (et périmés), et répétés en boucle. Le Canard enchaîné publie des remontées anonymes de salariés de la start-up, évoquant des projets pensés pour les effets d’annonce plus que pour leur efficacité pour l’utilisateur, et un management discutable. Médiapart entre ensuite dans la danse, avec un article sur les « parts d’ombre » de Qwant, doutes sur sa technologie en tête, mais également les démêlés passés de son président Eric Léandri avec la justice.
Tout récemment, Next INpact a enfoncé le clou, en pointant des intimidations d’Eric Léandri suite au premier article, et des témoignages de salariés évoquant un management toxique, basé sur la terreur et la violence psychologique.
Une révélation des failles de Qwant, ou une campagne de déstabilisation ?
Les dirigeants de Qwant ont occupé le front médiatique pour répondre, une à une, à ces accusations. Contestant les versions des journalistes, expliquant que les bugs ont été corrigés, démontrant que le passé judiciaire de M. Léandri était connu et explicable, défendant leur management, certes direct, mais « foncièrement humain et empathique».
Au-delà, Erci Léandri s’étonne de l’accumulation de révélations variées, en aussi peu de temps. Si certains affirment que les langues se délient, encouragées par ceux qui ont déjà parlé, le dirigeant y voit une campagne de déstabilisation, sciemment orchestrée. Pour chercher les responsables, il se demande à qui profite le crime : Qwant commence à prendre des parts de marché à Google, notamment en France. Le moteur de recherche aurait été ciblé par le géant du net comme une cible prioritaire.
Qwant change de tête : son nouveau DG est un héraut du logiciel libre
Les deux théories se défendent. Reste que Qwant vient de remplacer, le 19 septembre, son directeur général. Même si la start-up prétend que cela n’a rien à voir avec la tempête médiatique qui agite le moteur de recherche, difficile d’y voir une coïncidence.
D’autant que le DG sortant, François Messager, était un ancien de la grande distribution, figure d’un management « à l’ancienne », et très discret, laissant toute la lumière à Eric Léandri.
« Valeurs de souveraineté numérique et de respect de la vie privée »
Le nouveau DG, au contraire, est un homme de média, un militant doublé d’un communicant. Il s’agit de Tristan Nitot, ancien président de Mozilla Europe, véritable héraut du logiciel libre et grand défenseur des libertés numériques. Militant infatigable de l’open source, il est particulièrement respecté par la communauté du logiciel libre.
« C’est un honneur de prendre ces responsabilités au service de Qwant, dont les valeurs de souveraineté numérique et de respect de la vie privée sont parfaitement alignées avec ma vision du numérique au service de l’humain » a ainsi déclaré Tristan Nitot suite à sa nomination.
Questions en suspens sur l’avenir du moteur éthique made in France
Reste à savoir si Qwant parviendra à tenir le cap, et monter en puissance. Sa dimension éthique et sa défense exemplaire de la vie privée n’ont pas été pris en défaut, prouvant que, sur ce point, Qwant est dans le vrai.
Reste à attendre les audits pour déterminer s’il sera bien généralisé à l’ensemble des administrations publiques françaises, comme le souhaite le secrétaire d’Etat au Numérique Cédric O. Il lui faut aussi réussir à se détacher de Microsoft, puisque les résultats de recherche de Qwant restent, en grande partie, adossés à ceux de Bing, le développement de son index propre prenant du temps.
Les défenseurs des libertés sur le net croisent les doigts…
Il faudra enfin connaître la viabilité de la multitude de sous-projets lancés par la start-up (Qwant Music, Causes, Maps, Junior, School, Mail, Pay, Home, Ads…), en activité, en béta ou en développement.
De la réponse à ses questions dépend l’avenir du moteur de recherche. Et la possibilité (ou non) de voir émerger enfin un champion européen en la matière, capable de tenir la dragée haute à Google.
Les défenseurs de la liberté sur le net ont envie de croire que Qwant est ce qu’il prétend être (et non un aspirateur à subventions, destiné à être jeté après avoir engrossé ses dirigeants pendant le maximum de temps), et qu’il s’imposera par l’éthique et l’humain.