La France et l’Allemagne multiplient les déclarations d’intention pour la création d’un cloud computing européen de nature à concurrencer les géants américains du secteur. Mais un tel projet a-t-il les moindres chances de succès ?
Les ministres français et allemands de l’Economie, Bruno Le Maire et Peter Altmaier dessinent les contours d’un futur géant du cloud computing européen, né de l’union des différents pays de l’Union Européenne.
Le Cloud Act pose la question des données sensibles stockées sur le cloud d’entreprises US
Question de souveraineté numérique, notamment face au Cloud Act, le « Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act » (en français : « loi clarifiant l’utilisation légale des données à l’étranger »). Entré en vigueur cet été aux Etats-Unis, il prévoit que les autorités américaines puissent, en cas de mandat ou d’assignation de justice, accéder à des données hébergées par des entreprises américaines, y compris celles concernant des étrangers, même situées à l’étranger.
En Allemagne, où la police fédérale stocke ses données sur le cloud d’AWS, qui appartient à Amazon, cette loi a suscité une grande méfiance. Le commissaire allemand chargé de la protection des données et de la liberté d’information, Ulrich Kelber, avait à l’époque réclamé que les données sensibles devraient être protégées par les lois nationales plutôt que soumises à la réglementation américaine.
« Etablir une infrastructure de données européenne sûre et souveraine »
Dès lors, la volonté de Le Maire et d’Altmaier peut se comprendre. Début novembre 2019, le ministre français a demandé à l’éditeur français Dassault Systèmes et au spécialiste du cloud OVH de mettre en place un plan pour briser la domination des entreprises américaines dans le cloud computing. Une domination réelle, portée par une croissance phénoménale : en 2018, +35% pour AWS, +59% pour Microsoft Azure et +69% pour Google Cloud.
D’ici la fin du mois, la France et l’Allemagne vont également mettre en place des ateliers pour formuler des propositions concrètes permettant de faire émerger un acteur européen du cloud computing : « Nous voulons établir une infrastructure de données européenne sûre et souveraine, y compris des entrepôts de données (data wharehouse), la mise en commun des données et le développement de l’interopérabilité des données » a précisé Bruno Le Maire, voulant ainsi « aborder la révolution technologique du XXIe siècle ».
« Ça ressemble plus à un rêve chimérique »
Pour autant, l’ampleur de la tâche, le retard pris et le flou dans les contours du projet ne rendent guère optimiste sur la viabilité d’une telle ambition. La France s’est déjà cassé les dents sur son projet de cloud souverain, qui a fini au cimetière des éléphants des projets pharaoniques, acté avec la mort programmé de Cloudwatt.
« Cela ressemble davantage à une déclaration d’intention, mais ce à quoi cela ressemblera n’est pas encore très clair. Qui sera le fournisseur de ce projet ? Le gouvernement investira-t-il de l’argent pour le financer ? Une nouvelle organisation sera-t-elle créée pour la soutenir ? Ça ressemble plus à un rêve chimérique, qui a peu de chance de se réaliser » expose Alistair Edwards, analyste en chef de la société technologique Canalys, à nos collègues de ZDNet.
Les entreprises ont plus besoin de stabilité que de protection de données…
Autre problème : cette volonté ne correspond pas vraiment à une demande, du moins à part pour les services de l’Etat ou des pouvoirs publics. La majorité des entreprises européennes n’ont aucun problème à confier leurs données à des sociétés américaines. Au contraire, un géant du cloud assure une stabilité que pourront difficilement garantir des clouds émanant des gouvernements européens.
« La confiance est dictée par la protection des données, mais elle est aussi dictée par la stabilité. Lorsqu’un client décide de l’emplacement de ses données, il doit s’assurer que le support de son fournisseur ne disparaîtra pas soudainement. Mais les gouvernements et leurs politiques changent tous les deux ou trois ans « , note Allistair Edwards.
Dès lors, ce projet de cloud computing européen semble, avant même sa mise sur les rails, vraiment mal né.