Retour sur le jugement de la Cour d’appel du District of Columbia, début octobre 2019, qui autorise les Etats américains à adopter leur propre législation sur la neutralité du net. Une nouvelle étape dans la lutte entre la FCC (et les opérateurs télécom) et les défenseurs des libertés sur le net (et l’ensemble de la Silicon Valley) depuis que l’administration Trump a abrogé cette neutralité du net.
La fin de la neutralité du net, aux Etats-Unis, est un enjeu crucial du mandat de Donald Trump comme président. Il s’agissait d’un de ses chevaux de bataille, mené tambour battant par Ajit Pai, le président de la Federal Communications Commission (FCC), l’autorité de régulation américaine des télécoms, nommé par Trump peu après son investiture.
L’abrogation de la neutralité du net, un cadeau de Trump aux telcos
La FCC a conduit à l’abrogation des lois votées sous Obama et consacrant la neutralité de réseau aux Etats-Unis. Pour rappel, cette neutralité empêche les fournisseur d’accès de faire la moindre discrimination sur le débit Internet, quel que soit le service ou l’utilisateur. Une position défendue par les défenseurs d’un Internet libre et ouvert, et tous les créateurs de contenus Internet, et donc l’ensemble de la Silicon Valley et des géants du net.
A l’inverse, les opérateurs télécom sont, dans leur ensemble, favorables à la mise en place d’un Internet à deux vitesses, avec des débits moins élevés pour les sites moins populaires, et des « autoroutes à grande vitesse », payantes, pour les géants du net. Ils poussent donc pour la fin de la neutralité du net. L’abrogation de cette dernière était un cadeau fait par Donald Trump à ces telcos dont il a toujours été proche.
Les Etats peuvent-ils adopter leur propre législation sur la neutralité du net ?
Pour autant, si cette abrogation est effective depuis le 11 juin 2018 (à l’issu d’un processus plus que discutable et largement discuté), les défenseurs d’un Internet sans discrimination n’ont pas baissé les armes, bien au contraire. Certains Etats ont même immédiatement promulgué des lois remettant en place la neutralité du net sur leur sol.
La plus emblématique est la loi 822, votée par la Californie, qui se montre même plus restrictive que celle votée par l’administration Obama, puisqu’elle interdit, en sus, aux fournisseurs d’accès de mettre en avant quelque donnée que ce soit contre une rémunération.
Mais le texte d’abrogation votée par la FCC interdisait à tout Etat de prendre ultérieurement des dispositions contraires, sur le principe que la loi fédérale prévaut sur les lois locales. Et c’est ce principe que vient de fracasser la Cour d’appel du District Of Columbia, début octobre 2019. La justice a en effet estimé que la FCC n’avait pas légalement le droit d’interdire aux Etats d’adopter leurs propres législations en la matière, et a imposé une refonte de la loi d’abrogation de 2017 en ce sens.
Les défenseurs d’un Internet ouvert crient victoire, la FCC aussi !
Ce jugement a provoqué une intense satisfaction parmi les associations de défense des libertés : John Bergmayer, directeur juridique de Public Knowledge, a ainsi affirmé que cette décision « laisse aux Etats une voie claire pour promulguer des lois locales sur la neutralité du net afin de protéger les utilisateurs d’internet ».
La FCC a préféré, de son coté, voir le verre à moitié plein. Car si les juges ont remis en cause une partie du texte de loi d’abrogation, ils ont validés, définitivement cette fois, l’abrogation en elle-même : « La décision de la cour est une victoire pour les consommateurs, le déploiement de la fibre et l’internet libre et ouvert« , s’est ainsi félicité Ajit Pai.
La FCC estime par ailleurs que cette décision ne constituait pas « un feu vert » aux Etats pour que ces derniers adoptent les règles numériques qu’ils souhaitent sans son accord. Le régulateur estime qu’il peut encore attaquer les législations locales pour en bloquer certains aspects.
La bataille est loin d’être finie
De leurs cotés, les opérateurs télécoms ont préféré mettre en avant le risque que constitue un patchwork législatif, si les règles de la neutralité du net sont différentes dans chaque Etat : l’Internet Innovation Alliance, un groupe représentant de ces opérateurs, a ainsi déclaré que la décision d’« autoriser des règles qui diffèrent entre les 50 états pourrait être un désastre pour l’avancement de l’Internet ».
Sachant que des procédures judiciaires sont encore ouvertes à plusieurs niveaux dans cette affaire, et que de nouvelles risquent de s’ouvrir suite à cette décision, une seule certitude : outre-Atlantique, la bataille pour la neutralité du net est loin d’être finie.