Un nom de domaine peut devenir un enjeu commercial majeur, et provoquer de vives tensions. C’est le cas du .org, créé à l’origine pour des organisations à but non lucratif (même si son utilisation est aujourd’hui plus large). Géré jusqu’ici par une société elle aussi à but non lucratif, il vient de passer entre les mains d’une société commerciale. Quelques mois après que l’ICANN ait levé les limites de prix pour les adresses en .org. Coïncidences ? Sans doute pas.
Le domaine .org est presque aussi vieux qu’Internet et intimement lié à l’histoire des ONG et des projets participatifs. Il a été créé en 1985, en même temps que le .com et le .net, mais à la différence de ces noms de domaine, il est réservé en principe aux organisations à but non lucratif.
L’ICANN lève la limite tarifaire sur le domaine .org
Il est utilisé, entre autre, par Wikipedia, Mozilla, Internet Archive, ou la quasi-totalité des sites liés aux logiciels libres. Géré par une société américaine à but non lucratif, Public Interest Registry (PIR), il garantit des prix plus bas que des domaines commerciaux comme .com. Mais ces grands principes pourraient bientôt être remis en cause, comme le révèle une instructive enquête de nos collègues de Numerama.
En l’espace de six mois, tout a changé. Au printemps 2019, l’ICANN, qui gère l’attribution des noms de domaine (et leur tarification) sur Internet, a décidé de modifier ses principes de prix. Plusieurs noms de domaine (dont .org) disposaient de limites tarifaires qui ne pouvaient pas être dépassées ; l’ICANN, malgré une considérable vague de protestation, a fait sauter ce verrou.
Puis le domaine .org change de main, capté par un mystérieuse société commerciale
Pour le .org, PIR a rassuré les utilisateurs (ou futurs utilisateurs) : rien ne changerait, les tarifs resteraient bas, pour coller à l’esprit de ce nom de domaine. Les promesses n’engagent certes que ceux qui y croient, mais PIR était à l’époque dans le giron de l’Internet Society, une société américaine à but non lucratif.
Mais, en ce mois de novembre 2019, Internet Society, ayant besoin de liquidité, a décidé de céder PIR et l’ensemble de ses actifs (dont le domaine .org). Son patron, Andrew Sullivan, a révélé que l’acquéreur se nommais Ethos Capital, une société d’investissement méconnue.
Ethos Capital, une création récente, par de vieilles connaissances de l’ICANN
A l’annonce du deal, le CEO de l’Internet Society s’est voulu plus que rassurant : selon lui, Ethos Capital a un « mélange idéal d’expertise, d’expérience et de valeurs partagées pour faire progresser les objectifs du .org » , ainsi qu’« une compréhension approfondie des subtilités de l’industrie des domaines ».
Mais là où le bât blesse, c’est qu’un conflit d’intérêt d’importance semble soutenir ce rachat. En effet, le site DomaineNameWire a enquêté sur Ethos Capital. La société s’avère être particulièrement jeune. Elle a été créée début mai 2019, par un certain Fadi Chehadé, et le nom de domaine EthosCapital.com a été acquis seulement fin octobre. De toute évidence, cette société semble avoir été mise sur pieds dans l’unique but de racheter les actifs de PIR.
Et là où le deal devient clairement problématique, c’est que Fadi Chahedé est l’ancien patron de l’ICANN, qu’il a dirigé de 2012 à 2016. Une autre dirigeante d’Ethos Capital travaillait pour l’ICANN jusque 2016. Cette entité a donc été créée par des gens qui connaissaient le sujet sur le bout des doigts, et qui ont travaillé, de longues années, avec l’actuelle équipe dirigeante de l’ICANN, qui a, très opportunément, levé la limite de prix des domaines en .org, six mois avant la cession de PIR !
Vers une hausse des prix…
Dès lors, Andrew Sullivan a beau assurer que PIR va garder le domaine en .org « accessible et à un prix raisonnable », ce dernier est bel et bien passé entre les mains d’une entreprise tout sauf philanthropique. Et qui semble déterminée à valoriser son acquisition.
Reste à connaître la stratégie d’Ethos Capital. La société va-t-elle augmenter les prix des nouveaux sites, ou également des anciens ? Le changement sera-t-il brutal ou, plus probablement, progressif ? Dans tous les cas, les utilisateurs des domaines en .org peuvent, légitimement, s’inquiéter.