L’éditeur du célèbre jeu en ligne League of Legends, Riot Games, vient d’être condamné par la justice américaine à verser 10 millions de dollars aux femmes ayant travaillé pour l’entreprise depuis 2014, pour compenser les écarts de salaire, mais aussi la discrimination, la culture du viol et le harcèlement généralisé dans l’entreprise. Seul problème : les fautifs travaillent toujours pour Riot Games…
Cette affaire est emblématique des effets positifs de la libération de la parole féminine post-MeToo, notamment sur les discriminations et le harcèlement en entreprise – mais aussi, malheureusement, des limites qu’imposent un monde de l’entreprise toujours majoritairement patriarcal. Notamment dans le high-tech et les jeux vidéo.
Riot Games : un champion des discriminations de genre
Médiatiquement, tout commence en 2018, par une enquête approfondie de Kotaku sur les pratiques managériales et le traitement des employées féminines chez Riot Games, célébrissime éditeur du jeu vidéo League of Legends.
Le tableau était accablant. Lors des recrutements, les hommes étaient systématiquement et largement favorisés, à compétences et expériences égales – et même parfois à compétences inférieures !
L’entreprise fonctionnait donc avec une majorité d’employés de sexe masculin, qui sont, sans grande surprise, largement mieux payés que leurs collègues femmes, à travail égal. De la même façon, lors des réunions d’équipe, la parole masculine y était systématiquement plus écoutée et respectée.
« Non ne signifie pas forcément non », le slogan symbole
Le harcèlement sexuel et les comportements déplacés faisaient d’ailleurs clairement partie de la culture de l’entreprise. Les chaînes d’email internes étaient ainsi souvent accompagnées de remarques crues et vulgaires sur les employées féminines. Ces dernières étaient régulièrement victimes de mots et de gestes plus que déplacés.
Symbole ultime de l’implantation de la culture du viol chez Riot Games : une phrase en vogue, au moment de l’enquête, était le détournement, par l’un des cofondateurs du studio, d’un slogan phare du mouvement #MeToo. Revue à la sauce Riot Games, « Non veut dire non » s’est transformé en un écoeurant « Non ne signifie pas forcément non ».
Dépôt de plainte
Cette enquête permet d’ouvrir la boîte de Pandore et de libérer les paroles. En novembre 2018, une employée et une ex-employée de Riot Games portent plainte contre l’éditeur pour discrimination genrée, harcèlement sexuel et inégalités de salaires. Elles réclamaient des dommages et intérêts suffisamment hauts pour compenser l’écart de salaire avec les hommes, et réparer les abus.
Et, ce lundi 2 décembre 2019, une Cour de Justice californienne a donné raison aux deux plaignantes. Riot Games a été condamné à verser 10 millions de dollars (environ 9 millions d’euros) a toutes les femmes employées par le studio depuis novembre 2014, au prorata du temps passé dans l’entreprise et à leur contrat. Environ 1 000 personnes sont concernées.
Les agresseurs sont toujours en place, et Riot Games invite à « passer à autre chose »
Du coté de Riot Games, l’entreprise a enfin pris au sérieux ces questions. Des consultants spécialisés en discriminations ont été recrutés. Les processus de recrutement et de promotion ont été repensé. Des femmes ont été placées à des postes de direction. Des procédures de signalement du harcèlement ont été mises en place.
Riot Games a même déclaré que combattre le harcèlement sexuel et les discriminations genrées était l’une de « ses plus grandes priorités ». Se sachant scrutée, nulle doute que la firme va faire amende honorable.
Reste un gros point noir : les employés accusés de harcèlement actif sont toujours en place. Au même poste et avec le même salaire.
Crasse patriarcale
Dès lors, quand Riot Games appelle ses employés à « passer à autre chose », le studio prouve que la crasse patriarcale lui colle toujours au cerveau. « C’est difficile de passer à autre chose, quand on sait que Riot préfère verser de l’argent aux femmes qui sont encore là, plutôt que de faire en sorte qu’elles ne travaillent plus avec leurs agresseurs présumés », souligne avec justesse une employée.
De toute évidence, le combat pour l’égalité sera encore très long…