L’Office Européen des Brevets vient de rejeter une demande de brevet pour deux inventions, car elle émanait d’une Intelligence Artificielle (IA). L’organe européen estime qu’un brevet ne peut être accordé qu’à un être humain. Une disposition censé éviter qu’une entreprise ne soit propriétaire d’une idée. Et qui pose, plus globalement, la question fondamentalement de la nature d’une IA...
Le développement des capacités des IA commence à poser de sérieux problèmes réglementaires. Celui de la propriété intellectuelle des inventions des IA est l’un des plus épineux, qui a été largement débattue au cours de l’année 2019, aucune loi, au niveau mondial, ne statuant encore sur cette question. Le cas des deux créations de DABUS est exemplaire de ces problématiques.
DABUS, une IA composée d’un « essaim de nombreux réseaux neuronaux déconnectés »
DABUS est une IA créée par Stephen Thaler, directeur général d’Imaginations Engine. DABUS est composée d’un « essaim de nombreux réseaux neuronaux déconnectés, chacun contenant des mémoires interreliées, peut-être de nature linguistique, visuelle ou auditive ». Ces réseaux se combinent et se détachent continuellement, permettant à l’IA de développer des concepts complexes.
DABUS a ainsi créé, à elle seule, un récipient alimentaire à la géométrie avancée et des « dispositifs et méthodes pour attirer l’attention » dans des scénarios de sauvetage. L’équipe du projet « Artificial inventors », dirigée par le professeur Ryan Abbott de l’Université du Surrey, au Royaume-Uni, a donc décidé de breveter ces inventions, pour mettre les réglementations mondiales face à leur inadaptation à la révolution de l’IA.
Quand DABUS veut déposer un brevet, l’OEB refuse : un inventeur ne peut être une machine !
En août 2019, des demandes de brevet ont ainsi été déposées aux Etats-Unis, en Union Européenne et au Royaume-Uni. L’inventeur mentionné par la demande est DABUS.
L’UE a été la première a réagir. L’équipe de Ryan Abbott a présenté ces brevets, immatriculés EP 18 275 163 et EP 18 275 174, devant l’Office européen des brevets (OEB),. Après un entretien avec ses inventeurs, en novembre 2019, l’OEB a déclaré, en décembre, qu’elle refusait sur le principe le dépôt de ces brevets, « au motif que ces demandes ne satisfont pas à l’exigence de la CBE selon laquelle un inventeur désigné dans la demande doit être un être humain et non une machine ».
Pour les créateurs de DABUS, « la propriété de l’invention ne devrait pas être limitée aux personnes physiques »
La décision a été définitivement confirmée début janvier 2020. Elle s’appuie sur un principe fondamental de l’OEB : la propriété intellectuelle d’une invention ne peut être reconnue qu’à une personne humaine et physique. Pour éviter, entre autre, qu’une entreprise ne prive des inventeurs des fruits de leurs créations – comme c’est le cas aux Etats-Unis, ce qui laisse, d’ailleurs, des espoirs pour « Artificial Inventors » dans sa demande devant l’office des brevets américains.
L’équipe de Ryan Abbott estime, de son coté, que « la propriété de l’invention ne devrait pas être limitée aux personnes physiques », et qu’« une machine qui répondrait aux critères de propriété de l’invention si elle était une personne physique devrait également être considérée comme un inventeur ».
Quelle est la nature d’une IA ?
La question est centrale, et fondamentale, et revient à se demander quelle est la nature d’une IA face à la loi. Elle dépasse d’ailleurs largement la question des brevets, du copyright et de la propriété intellectuelle. Une IA est-elle pénalement responsable ? En cas de diagnostic médical assisté (voire décidé) par une IA, si le patient ou sa famille souhaite contester cette décision devant la justice, qui sera mis en cause ?
Plus globalement, même en suivant la logique de Ryan Abbott, si une IA est considérée comme une personne, comment la rendre responsable ? Si elle dispose de la propriété intellectuelle d’une invention ou d’une création, qui touche l’argent généré par ces droits ?
De ce point de vue, Ryan Abbott a beau jeu d’affirmer que les lois sur la propriété intellectuelle sont « dépassées », et que leur révision est indispensable pour ne pas freiner l’innovation. Car la loi doit d’abord définir ce qu’est une IA. Des équipes de chercheur travaillent d’ailleurs d’arrache-pied sur cette question. Penser que la loi peut bouger sans se positionner sur le fond, c’est mettre le doigt dans un engrenage dangereux.