D’ici 2 ans, Chrome devrait cesser d’accepter les cookies tiers : si Google a fait cette annonce en se drapant dans la protection de la vie privée, le géant de Mountain View n’a, bien entendu, pas renoncé à l’alpha et l’omega de son modèle économique – la publicité ciblée. Simplement, les outils de pistage seront (et, dans les grandes lignes, sont déjà) d’une autre nature. Plus difficiles à contrôler. La fin de l’empire Google n’est pas pour demain !
« Les utilisateurs exigent une plus grande confidentialité. Nous aimerions vous donner une mise à jour de nos plans et vous demander votre aide pour augmenter la confidentialité de la navigation sur le web ». Non, cette phrase n’a pas été prononcé par le nouveau président de Qwant à son intronisation. Non, ce n’est pas non plus une citation d’un cadre de Mozilla ou de DuckDuckGo.
Chrome en champion de la confidentialité sur le net ? Attention, radar !
L’auteur de cette phrase est Justin Schuh. Directeur technique de la sécurité et de la confidentialité de… Chrome. Le navigateur de Google, champion mondial de la collecte de données personnelles et de la publicité ciblée. Chrome, dont la maison-mère, Alphabet, réalisait, en 2017, 88% de ses revenus avec la publicité en ligne !
Dès lors, entendre un cadre de Chrome faire une telle déclaration enclenche dans la seconde un radar à doute. D’autant que son contexte est bien particulier : Justin Schuh venait d’annoncer, sur Twitter, que Chrome cesserait, d’ici deux ans et progressivement, de prendre en charge les cookies émanant de sites tiers.
Chrome anticipe la mort des cookies tiers…
En la matière, Chrome prend clairement le train en marche. Safari, le navigateur d’Apple, fait la chasse aux cookies depuis fin 2017, permettant à la Pomme de se prévaloir d’un écosystème centrée sur la protection de la vie privé. Firefox s’est aligné à l’été 2019.
Les préoccupations croissantes des internautes sur l’utilisation de leurs données personnelles, allant de pair avec le développement de législations telles que le RGPD (qui commencent à être dupliqué un peu partout dans le monde), menaçaient de toute façon le modèle des cookies tiers pour construire des profils permettant le ciblage.
… parce que Google n’en a plus besoin pour son pistage !
Et c’est là qu’est le loup. Et le coup de génie de Google. Si la firme de Mountain View renonce aux cookies, c’est qu’elle n’en a plus besoin ! Nos collègues de Numerama ont interrogé des spécialistes de la question, et leur avis est unanime : Google a fait muter son pistage.
« Google est en train de basculer sur les données qu’il possède déjà. Fort des millions d’internautes qui se servent de ses produits (YouTube, Gmail, Android, Maps, Chrome, Analytics) et de toutes les données créées lorsqu’ils utilisent ces mêmes services, Google met à disposition des annonceurs des audiences basées sur ces signaux, plutôt que sur ceux liés aux cookies », développe Bruno Guyot, consultant freelance.
Un traçage plus pernicieux et plus efficace
Pire : les cookies et les extensions dédiées avaient un défaut, pour les agrégateurs de données : les internautes avaient du contrôle sur leur utilisation. Les profils développés par Google sont beaucoup plus pernicieux, et beaucoup plus difficile à contrôler.
« Google déprécie les cookies pour la seule raison que les utilisateurs ont un certain degré de contrôle sur eux. Google veut migrer vers des mécanismes de suivi inter-sites et inter-dispositifs qui ne peuvent pas être évités du tout », a détaillé sur Twitter Justin Brookman, en charge de la protection des données personnelles et des questions technologiques au sein de Consumer Reports, une association de consommateurs américaine.
Les agrégateurs de données concurrents sont dans les cordes…
Cette tactique permet même à Google d’envoyer un uppercut à ses concurrents dans l’agrégation de données à des fins publicitaires. En effet, privés de cookies sous Chrome, Safari, Firefox (et sans doute Edge), ils seront progressivement au chômage technique. Seuls les géants possédant un éventail de sites et d’applications collectant les données personnelles (Facebook et Google, le tour est rapide) continueront de pouvoir construire des profils publicitaires aux petits oignons.
Non, Google n’a pas changé de bord et sa position n’est pas fragilisée. Bien au contraire.