Véritable cauchemar des ayants droit français, le piratage en ligne pourrait pourtant être endigué de manière plus efficace. Problème : les Fournisseurs d’Accès Internet (FAI) traînent des pieds, et chercheraient même à monnayer leur collaboration.
La lutte contre le piratage en ligne n’est pas une cause perdue d’avance. Loin de là. Il suffit de traverser la Manche pour en avoir la conviction : réactivité, coopération, innovation… Le Royaume-Uni fait figure d’exemple en la matière. Dès lors, une question se pose : pourquoi la France est-elle tant à la traîne ?
Les raisons sont multiples : le championnat anglais, la Premier League, a très tôt pris la mesure du danger que représentait le piratage en ligne pour son business. À tel point que son arsenal technique de lutte contre cette pratique est aujourd’hui bien plus développé que celui des autres ligues nationales, ou même de l’organisation européenne du ballon rond, l’UEFA.
Le cadre juridique en vigueur outre-Manche permet par ailleurs aux ayants droit britanniques d’obtenir rapidement, à l’intention des FAI, des ordonnances de blocage des sites pirates diffusant leurs contenus illégalement, ce qui est loin d’être le cas en France. Enfin, et c’est là que le bât blesse dans l’Hexagone, les FAI coopèrent pleinement avec les ayants droit afin d’identifier et bloquer les sites phares du piratage de contenus audiovisuels.
Si le cadre juridique concernant la lutte contre le piratage est amené à évoluer en France — et en Europe — dans les prochaines années, l’un des principaux critères d’efficacité dont les ayants droit français manquent cruellement est en effet la coopération pleine et entière des FAI. Toujours au Royaume-Uni, ces derniers collaborent par exemple avec la Premier League, notamment car deux des plus gros d’entre eux, BT et Sky, sont détenteurs des droits du championnat anglais. Leurs intérêts économiques sont donc alignés.
Mais pour convaincre les autres, la Premier League a dû mener des négociations longues et ardues, et prend aujourd’hui en charge une partie de leurs coûts liés au processus de blocage, qui doit être déclenché le plus souvent les week-ends ou en soirée. Résultat : la Premier League est aujourd’hui en mesure d’identifier et de faire bloquer les serveurs dédiés au piratage en ligne — et pas seulement les sites — les jours de match, une technique particulièrement efficace.
« En France, la non-coopération des FAI est l’un des problèmes principaux, parce que ça empêche les détenteurs de droits et les organisations sportives de savoir quels sont les sites et les serveurs les plus populaires, puisqu’ils n’ont pas d’informations sur le trafic. Deuxièmement, cela ne permet même pas d’envisager un blocage, car les FAI traînent des pieds ou demandent des compensations financières exorbitantes », affirme un expert de la lutte contre le piratage en ligne sous couvert d’anonymat.
Pire encore, « certains FAI pensent même qu’il y a un nouveau business model derrière. Techniquement, bloquer un serveur ou un site n’a pas un coût énorme. Je comprends que des besoins en personnel existent pour le faire, parce qu’il y a besoin d’une vérification humaine, le week-end, ça nécessite du staff, mais ça ne peut pas aller vers des centaines de milliers d’euros, vers des millions d’euros, ce n’est pas possible ! », s’insurge ce même expert.
Les Bouygues, Free, SFR et consort chercheraient ainsi à monnayer leurs services, sans culpabilité aucune, en invoquant le mythe de « la neutralité du Web » — principe selon lequel il ne peut être demandé aux FAI et aux opérateurs de bloquer l’accès ou réduire les connexions à certains sites Web. Qui ne tient en réalité pas la route : les FAI réalisent déjà — et c’est on ne peut plus légitime — des blocages de contenus « sensibles » (terrorisme, pédopornographie, etc.), preuve que le blocage de sites ou de serveurs est possible, si tant est qu’ils le veuillent.
Leur position est d’autant plus critiquable que les acteurs qui se cachent derrière le piratage en ligne sont loin d’être des enfants de chœur, il s’agit au contraire de vrais réseaux criminels. Avec tout ce que cela implique. Fin 2019, le parquet de Naples révélait les résultats d’une longue enquête sur le nouvel outil permettant d’accéder à une multitude de chaînes payantes pour une somme dérisoire : l’IPTV. Cette enquête, qui a débuté en 2015, conclut ainsi que l’armée de l’ombre de cette pratique compte dans ses rangs des soldats de la Camorra, l’organisation mafieuse la plus puissante de Naples. Rien que ça.