Alors que le confinement représente une véritable opportunité pour les ayants droit de faire valoir leurs offres habituellement payantes, il fait ressortir l’hypocrisie de certains fournisseurs d’accès Internet (FAI) et du CSA concernant la lutte contre le piratage en ligne.
Ce n’est pas une surprise. En période de confinement, le temps passé sur les écrans (TV, smartphone, tablette…) explose. Tout y passe : réseaux sociaux, sites de streaming, jeux en ligne… Certains acteurs, comme Orange, Bouygues Télécom, SFR, l’Opéra de Paris, l’INA et même PornHub, Jacquie et Michel ainsi que Dorcel ont rapidement flairé la bonne occasion que représentait une telle situation et ont proposé aux internautes tout ou partie de leur offre payante en accès libre.
Tout le monde s’y retrouve : les différents ayants droit peuvent ainsi mettre en avant leur offre d’ordinaire payante et tenter de profiter de cette période pour convaincre des millions de futurs clients potentiels, et, de leur côté, les utilisateurs ont accès à des centaines de contenus audiovisuels gratuitement pour occuper leur journée, ce qui, pour certains, est un véritable challenge en période de confinement.
À quoi joue le CSA ?
Mais le confinement fait également les affaires du streaming illégal, qui n’a, pour sa part, pas besoin de se mettre en avant pour générer du trafic. Or, le confinement étant une opportunité pour les ayants droit, on aurait pu légitimement espérer qu’ils recevraient un petit coup de pouce des autorités vis-à-vis des offres illégales. C’était sans compter sur le comportement schizophrénique du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), le décrié gendarme de l’audiovisuel.
Le 18 mars, Canal Plus annonçait, pour le plus grand bonheur des Français confinés, la gratuité de ses services pendant le confinement. Une annonce particulièrement bien accueillie par les utilisateurs qui pouvaient alors accéder à l’ensemble des chaînes Canal Plus en clair. Mais le CSA — sous la pression de TF1, M6 et la SACD (Société des Auteurs et des Compositeurs Dramatiques) s’estimant lésées —, ne l’entendait pas de cette oreille et a sommé la chaîne payante de faire machine arrière, et de mettre complètement fin à la gratuité de ses services payants au plus tard le 31 mars.
Une fin de non-recevoir infligée à Canal Plus qui soulève un certain nombre de questions, notamment au regard de l’agenda législatif actuel : la future grande loi sur l’audiovisuel, en discussion à l’Assemblée nationale, prévoit en effet de fusionner le CSA et la HADOPI dans une nouvelle structure, devant lutter plus efficacement contre le piratage en ligne, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom).
Or, parmi les missions qui seront confiées à cette nouvelle entité, on trouve : la protection des œuvres, la régulation des mesures techniques de protection, la prévention et l’information auprès de tous les publics « sur les risques et les conséquences du piratage d’œuvres protégées par le droit d’auteur et de contenus sportifs »…. et l’encouragement de l’offre légale ! Quand on sait que les séries et films Canal Plus comptent parmi les œuvres les plus piratées, le comportement du CSA laisse songeur.
Si cette décision trouve, aux yeux de certains, une justification dans « l’équilibre entre les chaînes payantes et les chaînes gratuites » auquel veille le CSA, l’institution n’a semble-t-il pas pris la mesure du fléau qu’est le piratage en ligne que subit au quotidien, entre autres, la chaîne payante française, permettant dès lors d’émettre quelques doutes quant aux futures missions que se verra octroyer le CSA au sein de l’Arcom, et donc de l’efficacité de cette dernière…
L’hypocrisie des fournisseurs d’accès Internet
Dans le même genre, le comportement des FAI laisse perplexe. Face à l’augmentation de la bande passante liée au confinement — +70 % d’augmentation constatée en Italie — l’idée d’une limitation « d’accès à Netflix et YouTube au profit du télétravail » commençait émerger dans l’Hexagone.
Se voulant rassurant, Arthur Dreyfuss, le président de la Fédération française des télécoms, assurait dans les colonnes du JDD que « les infrastructures sont dimensionnées pour absorber des pics d’activité » et que « tous les opérateurs télécom ont mobilisé des milliers d’ingénieurs et de techniciens qui superviseront et entretiendront l’ensemble du réseau ».
Néanmoins, le JDD affirmait, dans le même article, « qu’en cas de saturation, les opérateurs n’excluent pas de privilégier les usages professionnels en diminuant la bande passante des sites de divertissement ». Une possibilité confirmée par Grégory Rabuel, le directeur général de SFR, inquiet de la possible arrivée de Disney + dans l’Hexagone : « si nous étions dans l’obligation nationale de prioriser telle ou telle plateforme pour garantir le fonctionnement du service aux personnels hospitaliers, aux pouvoirs publics, et aux techniciens sur le terrain, aux entreprises pour qu’elles travaillent, aux enfants, pour qu’ils bénéficient d’enseignement à distance, nous le ferions ».
Si l’intention est louable, celle-ci interroge. Si les opérateurs sont aujourd’hui si enclins à brider certains sites de divertissement comme Netflix ou YouTube pour venir en aide aux pouvoirs publics, pourquoi demandent-ils des sommes astronomiques quand il s’agit d’user de pratiques similaires à l’encontre de sites de streaming et de téléchargement illégaux ?
« En France, la non-coopération des FAI est l’un des problèmes principaux, parce que ça empêche les détenteurs de droits et les organisations sportives de savoir quels sont les sites et les serveurs les plus populaires, puisqu’ils n’ont pas d’informations sur le trafic. Deuxièmement, cela ne permet même pas d’envisager un blocage, car les FAI traînent des pieds ou demandent des compensations financières exorbitantes », confiait, dans nos colonnes, un expert du secteur en février dernier. Preuve que quand les FAI veulent, ils peuvent, mais le streaming illégal ne semble vraisemblablement pas mériter, à leurs yeux, leur coopération pleine et entière.