C’est un potentiel de croissance encore partiellement inexploité en France. Car le numérique ne représente que 6 % du PIB global du pays. Au niveau européen aussi, les retards semblent s’accumuler. Les compétences numériques insuffisantes des populations européennes et les disparités régionales entre États membres, révélées chaque année par l’Index DESI, fragilisent la compétitivité de l’Europe face aux traditionnelles puissances américaine et chinoise. La transition numérique n’est donc pas encore pleinement entamée.
Les inégalités territoriales dans le déploiement de la 5G, dont la France vient d’accorder les premières fréquences aux enchères, n’aident pas à unifier l’Europe numérique. La Commission européenne a, face à ce constat, placé la transition numérique de l’Union européenne au cœur de son action.
L’inquiétant retard des entreprises européennes dans les nouvelles technologies
Les conséquences des failles capacitaires numériques sur les entreprises européennes sont désormais éprouvées. L’index DESI, qui dresse tous les ans l’état du numérique au sein de l’Union, indique que les nouvelles technologies les plus stratégiques, comme l’intelligence artificielle, l’IoT ou encore le Big Data, restent diversement adoptées par les entreprises européennes. En 2018, 38 % des grandes entreprises avaient recours à des services de cloud et 32,5 % utilisaient le Big Data comme vecteur de croissance.
Pour les petites et moyennes entreprises, cette part chute à 17 % pour le cloud et 12 % pour le Big Data. Un segment sur lequel la France n’est pas l’une des élèves les plus brillantes. Seules 15 % des entreprises françaises utilisent ainsi des solutions de cloud computing, selon l’index DESI. Un paradoxe, alors même qu’elles en perçoivent le potentiel de croissance. Selon l’association de l’économie numérique (ACSEL), dans son baromètre 2019, 70 % des entreprises françaises considèrent le numérique comme un vecteur de croissance, 25 % comme un passage de développement obligé et seules 5 % comme une menace.
Dans le domaine très stratégique du cloud computing, les premières places sont occupées par les pays du nord, la Finlande, la Suède et les Pays-Bas en tête. Un constat qui, selon les chercheuses Sarah Guillou et Cyrielle Gaglio, n’a rien d’étonnant : « Ce sont des pays qui ont clairement amorcé une transition vers le numérique en cohérence avec la part des dépenses qu’ils consacrent à la recherche et développement dans leur PIB ». Un discours qui tranche avec la situation de la France, où Emmanuel Macron vient de reconnaître que « la bataille du cloud (a été) perdue ».
Au niveau de l’UE, les dépenses en recherche et développement se sont en effet limitées à 2,07 % du PIB européen en 2017, un taux bien moindre que certains pays, comme la Corée du Sud, le Japon ou encore les États-Unis. États qui, aujourd’hui, occupent le haut du classement en termes, notamment, de dépôts de brevet. Si les stratégies d’investissements semblent encore insuffisantes, de grands espoirs sont placés dans le plan de relance post Covid-19 de l’Union européenne qui prévoit, à partir d’une enveloppe de 750 milliards d’euros, 150 milliards dédiés au numérique.
Le fer-de-lance du plan est, entre autres, l’exploitation des données industrielles, la construction d’une identité numérique européenne ou encore une action volontariste contre la fracture territoriale qui, toujours, prive d’accès une partie des populations à un accès viable à internet.
L’Europe souffre d’un manque de profils qualifiés
Difficile d’entamer une transition numérique viable sans profils qualifiés. Car, dans ce domaine, l’Europe est à la traîne. En 2018, 57 % des entreprises européennes désireuses de recruter un profil spécialisé dans le numérique ont déclaré avoir rencontré des obstacles pour accueillir un candidat qualifié. Un taux qui atteint 90 % en Roumanie, 80 % en République Tchèque et 72 % en Autriche. Même les pays les plus avancés dans ce domaine déplorent des difficultés similaires, comme la Finlande, où ce taux atteint les 70 %.
Là encore, la France, où 58 % des entreprises reconnaissent des difficultés à recruter des profils spécialisés, n’échappe pas à la règle. Une réalité qui n’a pas échappé aux chefs d’entreprise, qui implorent les pouvoirs publics à « poursuivre ses efforts et agir pour multiplier les écoles d’informatique formant des candidats de niveau Bac +3 à Bac +5 ».
D’autant que cette tendance se confirme pour les compétences les plus basiques, souvent nécessaires pour obtenir un emploi dans le secteur tertiaire. 33 % des Européens n’avaient, en 2019, pas les compétences numériques les plus basiques, selon les conclusions de l’Index DESI. Ils n’étaient, en 2017, « que » 31 %… A titre de comparaison, la Chine produit 165 000 diplômés en sciences informatiques chaque année, elle-même loin derrière l’Inde, qui en forme 215 000.
Prendre le pas de la 5G
L’Europe fait aussi face au défi de la transition vers la 5G. Le plan ambitieux de la Commission européenne, qui prévoyait en 2016 que chaque pays européen possède au moins une grande ville couverte par un réseau 5G en 2020, a été entamé par la crise sanitaire. Un rapport conjoint de différents ministères français révèle sobrement que « l’état du déploiement de la 5G dans les pays développés révèle un certain retard de la France », alors même que les retombées économiques de la 5G sont estimées à 124 milliards de dollars et 448 000 emplois dans le pays d’ici 2035, selon les conclusions d’une étude menée par le cabinet IHS Markit. Si les enchères ont permis d’attribuer les fréquences sur le territoire aux différents opérateurs, le déploiement du réseau demeure encore peu avancé.
Un retard d’autant plus dommageable car la 5G permettrait d’accélérer le développement des green tech qui, à travers les smart cities notamment, promettent une amélioration considérable du bilan carbone des métropoles et villes engagées dans cette voie. Ainsi, selon Accenture, à l’origine d’un livre blanc sur le sujet, les solutions urbaines intelligentes pourraient permettre de générer 160 milliards de dollars d’économies, par une réduction de la consommation d’énergie et une lutte plus efficace contre la congestion urbaine. Un impératif alors, qu’en France, 77 % des habitants demeurent désormais attachés à la transition écologique.
Au niveau européen, l’Index DESI révèle encore des fractures. S’il salue les capacités opérationnelles de l’Allemagne, de la Finlande, de la Hongrie ou encore de l’Italie, il déplore que le lancement commercial à grande échelle ne soit pas encore systématisé sur le continent. Mais, les pays européens semblent malgré tout avoir pris le pas de la 5G. Dans son plan de relance, l’Allemagne, leader européen, a ainsi annoncé aligner 7 milliards d’euros pour accélérer le positionnement du pays sur la 5G. L’occasion, pour le gouvernement fédéral, de « renforcer (sa) souveraineté numérique et en même temps la puissance d’innovation de (ses) entreprises ».
Un montant sans doute plus modeste en France, où France Relance prévoit en tout et pour tout 7 milliards d’euros consacrés au numérique dans son ensemble et, évidemment, la 5G qu’Emmanuel Macron considère comme un outil « pour soutenir les entreprises et leur donner la compétitivité additionnelle ».
Si l’Europe semble prendre le pas de la transition numérique, les défis à relever restent encore nombreux. Meilleure acculturation des populations aux usages numériques et investissements croissants des acteurs privés et publics devraient, à terme, permettre à l’Europe de relever le double défi de la transition numérique et écologique qui, selon Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission européenne, représente l’un des principaux « défis générationnels ».