Toujours en plein cœur d’une crise sanitaire qui n’en finit pas, l’Union européenne prépare déjà l’« Après » et les conséquences économiques possiblement dramatiques qui s’en suivront. Au cœur de la politique européenne, le plan de relance économique a été approuvé par le Parlement le 10 février. Certains pays, comme l’Allemagne, orientent déjà leurs propres fonds de relance vers des technologies jugées stratégiques, comme le développement des normes Open RAN.
L’Allemagne, une nouvelle fois moteur de l’Europe
À ce plan de relance européen s’ajoutent ceux mis en œuvre par les États membres. L’Allemagne a lancé l’un des ambitieux du continent, avec 130 milliards d’euros mobilisés pour accompagner la reprise économique et positionner le pays sur certains secteurs stratégiques, en développant un écosystème favorable au développement de l’innovation. La République fédérale prévoit ainsi d’injecter a minima 300 millions d’euros dans le projet Open RAN, une initiative visant à rendre interopérables les dispositifs hardware et software des technologies mobiles. Une nouvelle norme qui pourrait surtout permettre d’accélérer le déploiement de la 5G en Europe. Les 300 millions d’euros déployés par l’Allemagne s’affirment comme un signal envoyé aux autres membres de l’Union, pour les encourager à prendre eux aussi le pas d’une approche technologique qui, selon certains observateurs, pourrait contribuer à l’indépendance numérique européenne. « Il y a à présent un élan à créer des composants open source ou des composants qui offrent une interface ouverte sur toute la ligne et qui s’intègrent donc parfaitement les uns aux autres », affirme Michael Peeters, directeur de la connectivité à l’Institut de microélectroniques et composants (IMEC), au site datanews.
Si l’Union européenne souhaite s’extirper de sa dépendance aux acteurs étrangers, notamment chinois, l’enjeu est bien loin d’être uniquement géopolitique. De nombreux industriels et opérateurs chinois s’intéressent eux aussi très fortement à l’Open RAN. En empêchant la création d’un monopole autour des deux acteurs européens existants, Nokia et Ericsson, les soutiens de l’Open RAN souhaitent stimuler l’innovation et sortir de l’effet de verrouillage créé par l’organisation actuelle du marché. En effet, dans le domaine des ondes radios, la situation d’oligopole sectorielle génère, selon Michael Peeters, « une diminution des options innovantes » et « des prix supérieurs pour les opérateurs ». Problématique, car le continent souffre encore d’une profonde fracture numérique et peine, au sein de l’ensemble des États membres, à unifier la connectivité et la qualité de service. Et même au sein des frontières intérieures des pays, les zones rurales restent encore majoritairement délaissées.
Les États-Unis aussi plébiscitent l’Open RAN
Les États-Unis semblent aussi en passe de s’engager en faveur de l’Open RAN après le vote, par la Chambre des représentants, d’un budget de 750 millions de dollars dédiés à son développement. Un montant encore insuffisant pour certains sénateurs américains — démocrates comme républicains — qui réclament que les pouvoirs publics investissent « au moins un milliard ». Outre-Atlantique. Le but ? Là encore, favoriser l’émergence de nouveaux acteurs dans le pays par la création d’un écosystème propre et plus flexible. Mais aussi préparer des alternatives à Huawei, toujours en délicatesse avec les autorités américaines. D’autant que les États-Unis ne disposent toujours pas de « vendeurs » nationaux.
Même si le projet demeure encore, en l’état, en phase de développement, il amène avec lui de nombreux espoirs. La mobilisation des opérateurs et des constructeurs devrait, dans les mois et années à venir, accélérer sa course à la maturité. Car pour l’Europe, le développement d’alternatives 5G homemade est une nécessité impérieuse. En effet, les nouveaux réseaux de fréquences ont vocation à intégrer l’ensemble des pans de la vie économique et, selon les projections, devenir un véritable accélérateur de croissance. La pandémie a été, pour les opérateurs, un exercice grandeur nature de leur importance en temps de crise, notamment pour assurer la poursuite de la vie économique et sociale, avec une généralisation du télétravail. S’ils ont tenu et assuré la qualité de service, ils préparent déjà l’après-pandémie et les batailles à venir.
Opérateurs — et même constructeurs — emboîtent le pas.
En Europe, les quatre plus grands opérateurs de télécommunication du continent, à savoir Deutsche Telekom, Telefonica, Vodafone et Orange, se sont engagés, le 20 janvier, à déployer très fortement l’Open RAN. Pour les opérateurs européens, la dépendance à un seul et même fournisseur peut en effet avoir des effets délétères, dont les répercussions peuvent très vite se ressentir sur les consommateurs. Comme en témoignent SFR et Bouygues en France, partenaires du chinois Huawei, fortement incités à se tourner vers un autre constructeur et donc, à démanteler leurs installations. L’interopérabilité des équipements mobiles peut, à terme, permettre aux opérateurs d’utiliser des infrastructures venues de plusieurs fournisseurs et ainsi conserver une plus large indépendance.
Les opérateurs ont déjà chiffré leurs ambitions. D’ici 2027, environ 2 600 sites de Vodafone seront fondés sur technologie Open RAN. Plus modeste, Telefonica Deustchland en prévoit un millier en Allemagne. Orange, de son côté, semble avoir pris le pas et souhaite que tous les matériels de mises à niveau de son réseau européen soient compatibles à l’Open RAN. « Avec O-RAN, on crée une architecture et des interfaces ouvertes, et on permet à de nouveaux entrants de développer certaines parties du réseau d’accès, et pas nécessairement sa totalité » résume Olivier Simon, responsable innovations sur les réseaux radios pour le constructeur français, qui souhaite abaisser les barrières d’entrée pour les nouveaux acteurs potentiels du marché. Même les constructeurs commencent — doucement — à emboîter le pas. Nokia, l’un des trois gros fournisseurs, a annoncé en juillet dernier proposer une offre OpenRan. Même Facebook s’est invité dans la partie.
La Commission européenne reste encore discrète. Si le plan NextGenerationUE devrait accorder des fonds aux infrastructures 5 G, rien n’indique qu’il ne s’engage en faveur de l’Open RAN. Au risque, selon l’Institut Montaigne, de voir l’Europe subir un « déclassement stratégique » ?