Suite à une saisine de plusieurs militantes féministes accusant Instagram de discrimination, la Défenseure des Droits va enquêter sur la modération du réseau social. Si l’autorité juge la demande recevable, Instagram pourrait être contraint de lever le voile sur ses algorithmes de modération.
Instagram va-t-il être contraint de clarifier ses méthodes de modération ? C’est en tout cas une issue possible de la saisine de la Défenseure des droits par plusieurs militantes féministes, qui accuse Instagram de discrimination.
La Défenseure des Droits va enquêter sur la modération d’Instagram
C’est la première fois que Claire Hénon, l’actuelle Défenseure des droits, va devoir enquêter sur Instagram. D’après la Constitution, cette autorité doit « veiller au respect des droits et libertés », notamment en s’assurant que les citoyens ne sont pas lésés par une disposition particulière du droit ou les décision d’une entreprise privée.
Or, plusieurs militantes féministes s’estiment discriminées par la politique de modération d’Instagram. Ce mercredi 3 février 2021, les militantes Pauline Harmange et Anaïs Bourdet, créatrice de Paye ta Shnek, et les comptes féministes Préparez Vous Pour la Bagarre, Olympe Rêve et Mécréantes ont saisi la Défenseure des Droits.
Un profonde déséquilibre en défaveur des comptes féministes sur Instagram
Dans un communiqué de presse détaillant les motifs de cette saisine, elles s’estiment victimes, à cause de leur « opinions politiques », de shadow bans (le fait que certains comptes sont moins visibles sur le réseau, malgré une audience forte), de censure abusive, et de cyber-harcèlement de meute insuffisamment modéré.
Elles pointent par ailleurs un profond déséquilibre de traitement entre les comptes féministes et les comptes misogynes. Fin janvier 2021, la suppression de nombreuses publications autour de la question « Comment fait-on pour que les hommes arrêtent de violer ? » sur Twitter et Instagram a provoqué un véritable tollé sur la toile, qui a conduit à la republication de la majorité des contenus.
Pour le réseau social, parler « des hommes » est un « discours haineux »…
Mais il a mis en lumière les profonds dysfonctionnements de la modération d’Instagram. Il semblerait ainsi qu’il suffise qu’une publication utilise l’expression généralisatrice « les hommes » pour qu’elle soit identifiée comme un « discours haineux », et donc censurée.
« Dès qu’on parle de domination masculine, ça ne passe plus. Il s’agit pourtant ici d’utiliser des concepts qui permettent de penser et de poser des questions sur les discriminations. C’est très grave », exposait la créatrice de Préparez Vous Pour La Bagarre à nos collègues de Numerama.
#cisbulles, non, #feminazi, oui !
De la même façon, un mème humoristique comme « Le clitoris a 8000 terminaisons nerveuses, mais reste moins sensible que l’égo des hommes blancs sur internet » est systématiquement supprimé par Instagram.
Le hashtag #cisbulles, créé par Olympe Rêve pour dénoncer le fait que les hommes cisgenres « avaient un égo aussi fragile qu’une bulle de savon », a été jugé « contraire aux règles de la communauté » d’Instagram, et supprimé. Alors que des hashtags aussi sympathiques que #feminazi, #fuckwomensrights ou #feminismiscancer sont parfaitement acceptés par la modération d’Instagram !
Dans la même logique, les signalements pour insultes misogynes ne sont que très modérément prises en compte par le réseau social. La première story affichée sur le profil d’Olympe Rêve est toujours celle d’un compte de « conseil en séduction » qu’elle avait attaquée et qui a lancé un raid de cyber-harcèlement contre elle. « Je l’ai signalée plusieurs fois à Instagram pour harcèlement, et sa story est toujours à la une de son profil », dénonce-t-elle.
Vers un dévoilement de l’algorithme de modération d’Instagram ?
Reste à savoir l’impact que pourra avoir cette saisine sur Instagram et son système de modération. La Défenseure des Droits ne peut pas prendre de sanctions, elle ne dispose que d’un pouvoir de recommandation, mais qui peut se transformer, si l’entreprise ne suit pas ces recommandations, en « pouvoir d’injonction » auprès d’autres autorités civiles afin que des sanctions soient appliquées.
Autre point-clé : la Défenseure des Droits dispose d’un large pouvoir d’investigation : selon la Constitution, « les personnes mises en cause ne peuvent pas refuser de communiquer une information au Défenseur des droits ». Cette saisine pourrait ainsi contraindre Instagram a révéler, au moins en partie, comment fonctionne son algorithme de modération.
Pour une modération plus juste
Enfin, les avis de la Défenseure des Droits sont pris très au sérieux par les autorités publiques. Et, à ce jour, l’autorité n’a rendu aucun avis sur Instagram. Cette première pourrait avoir un impact important sur la modération du réseau social.
« Historiquement, ils prennent des décisions progressistes, un avis dans notre sens permettrait de faire émerger de nouvelles pistes de réflexion », espère ainsi Léane, créatice du compte Mécréantes.