La crise sanitaire a accéléré le développement numérique du continent, de nombreuses start-up africaines éclosant et surfant sur les nouveaux usages en vogue depuis plus d’un an. Plusieurs pays, dont le Sénégal et l’Afrique du Sud tirent cette croissance digitale, en sachant attirer à eux les talents et les investissements.
L’Afrique sera-t-elle la championne digitale du XXIe siècle ? Si le continent a négocié son virage numérique avec un certain retard sur d’autres régions du monde plus développées, tous les indicateurs laissent à penser qu’il est en voie de s’imposer comme un acteur incontournable, et original, de la révolution digitale. De 167 millions d’utilisateurs d’Internet en 2013, l’Afrique passera ainsi à 600 d’internautes millions en 2025. D’ici là et sur la même période, la contribution du Web au PIB du continent explosera, passant de 18 milliards de dollars à 300 milliards de dollars. Une croissance exponentielle, portée notamment par une hausse spectaculaire des usages mobiles – une popularité du mobile qui fait la singularité de l’Afrique : ainsi, plus de 90% des téléphones en Afrique sont des portables, et le secteur pesait, en 2020, quelque 234 milliards de dollars.
Les atouts de l’Afrique pour confirmer son virage digital
Au-delà des chiffres, le développement du numérique sur le continent s’incarne aussi par celui de l’entrepreneuriat et des start-up de la Tech, qui éclosent aux quatre coins de l’Afrique. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la pandémie mondiale de Covid-19 « a accéléré encore plus l’émergence de l’écosystème Tech africain, qui avait franchi une étape importante en 2019 en atteignant 2 milliards de dollars d’investissement », se félicite auprès de TV5Monde Stéphan-Eloïse Gras, la directrice exécutive de Digital Africa, une initiative lancée en 2018 par Emmanuel Macron et appuyée par l’Agence française de Développement. « L’entrepreneuriat et le numérique représentent des éléments essentiels pour construire l’avenir du continent et de la globalisation, poursuit la dirigeante. L’Afrique est riche de cette jeunesse de »digital natives », née à l’ère du numérique, qui ont des capacités innées à concevoir et utiliser les technologies, à les comprendre, à se construire un avenir avec ».
Comme ailleurs dans le monde, « ce que le Covid-19 a montré, c’est (…) une véritable accélération des services et produits numériques, du commerce en ligne, des enjeux de connectivité, des enjeux d’accès à Internet », détaille Stéphan-Eloïse Gras : confinements et règles de distanciation obligent, « de nombreuses jeunes pousses se sont mises à proposer des services gratuits et accélérer leurs innovations ». La crise sanitaire « pourrait faire émerger de nouveaux champions, dans d’autres écosystèmes, non anglophones, du fait de cette demande accrue. Abidjan (Côte d’Ivoire), Dakar (Sénégal), qui sont aussi les écosystèmes plus mûrs, plus avancés au sein des pays d’Afrique francophone ». Atout de taille, conclut Mme Gras, l’Afrique peut compter sur « un réservoir de talents numériques : on sait qu’il y a des très bons codeurs, beaucoup d’ingénieurs, que ce soit au Sénégal, en Tunisie, au Maroc »…
Pour Jean-Michel Huet, associé au sein du cabinet de conseil BearingPoint, « les entrepreneurs sont aussi une catégorie clé en Afrique et même si le nombre de start-up en Afrique est encore faible au regard des États-Unis ou de l’Europe, c’est clairement un ensemble d’acteurs nouveaux (…) qui n’existaient pas sur le continent lors de la première vague de jeunes pousses liées à Internet ». Les entreprises africaines, poursuit le consultant, « sont aussi des acteurs clés du développement du digital, notamment celles qui s’inscrivent dans une approche de développement d’un écosystème de partenaires, la fameuse économie des plateformes. Leur capacité à développer de nouveaux business models, ce que nous appelons l’hybridation, font de certaines d’entre elles des facilitateurs du développement du digital » sur le continent.
Sénégal, Afrique du Sud : les locomotives digitales du continent
Ce message, c’est aussi celui qu’est venu porter, en substance, le ministre français du Commerce extérieur et de l’Attractivité, qui était en visite officielle au Sénégal au début du mois de juin, où il a rencontré de jeunes entrepreneurs du numérique. « La stratégie de la France,(…) c’est de soutenir la société civile sénégalaise, africaine, notamment en soutenant tout ce qui permet la réalisation des rêves de la jeunesse, notamment via l’entrepreneuriat », a déclaré Franck Riester. Particulièrement en pointe sur les questions digitales, le pays d’Afrique de l’Ouest multiplie, sous l’impulsion de son très technophile président, Macky Sall, les incubateurs et fonds d’investissement afin d’aider les start-up locales à décoller. Objectif revendiqué : en misant sur les atouts du Sénégal – bonne connexion Internet, espaces de coworking, coaching, incubateurs et fonds d’investissement, comme Teranga Capital, doté de 4 milliards de francs CFA, etc. –, créer, d’ici à 2025, au moins 35 000 nouveaux emplois directs dans le domaine de la Tech. Résolument pro-business, le président Macky Sall entend ainsi faire de son pays un « paradis pour les start-up » et un concurrent direct des plus grands géants mondiaux des nouvelles technologies.
Il faut dire que le gouvernement sénégalais s’est donné les moyens de ses ambitions : au début de l’année 2020, une nouvelle loi relative à la création et à la promotion des start-up était promulguée afin de fixer un cadre juridique clair et avantageux pour les jeunes pousses de la « tech » : obtention d’une subvention pour la formalisation de la société, réservation du nom de domaine « .sn », soutien à la protection des innovations auprès des organismes nationaux et internationaux de protection de la propriété intellectuelle, accompagnement des incubateurs agréés, accès à une plate-forme de formation permettant aux start-uppers de solliciter des experts susceptibles de les accompagner dans des domaines tels que le marketing, la communication ou encore l’élaboration de business plans… Enfin et surtout, ce nouveau dispositif législatif prévoit plusieurs mesures avantageuses sur le plan fiscal et social pour les start-up sénégalaises.
Macky-Sall réussira-t-il à faire du Sénégal un « hub » des entreprises du digital ? Si le pays est en concurrence mondiale avec Israël ou l’Estonie sur ce point, seule l’Afrique du Sud est aussi engagée sur cette voie de développement en Afrique.
Car à l’extrémité méridionale du continent, l’autre patrie du digital Africain monte aussi en puissance. Le Cap se hisse ainsi en tête des régions du monde qui affichent la plus forte croissance des investissements étrangers, avec 88 millions de dollars injectés dans les start-up technologiques pour la seule année 2020. À la fin de l’année 2020, la métropole comptait quelque 550 entreprises technologiques, employant plus de 40 000 personnes et accueillant, à elle seule, près de quatre développeurs sud-africains sur dix, ce qui rend son écosystème plus grand que ceux de Lagos et de Nairobi réunis. Avec ses quatre universités de rang mondial, ses 30 espaces de coworking, ses plus de 700 spots WiFi et son climat des affaires accueillant, la capitale économique du pays continue de s’imposer comme la locomotive digitale d’un continent africain en pleine révolution numérique.