Avant d’être auditionnée ce mercredi 10 novembre 2021, en France, par les députés des commissions des Lois et des Affaires économiques, la lanceuse d’alerte Frances Haugen, à l’origine des Facebook Files, a été reçue par le Parlement Européen, ce 8 novembre. Elle a salué « potentiel énorme » du projet de régulation européen des services numériques.
Celle par qui le scandale est arrivé. Frances Haugen est une ancienne ingénieure de Facebook, démissionnaire en mai 2021, mais qui avait photographié avant de partir des milliers de documents internes du groupe de Mark Zuckerberg (qui a depuis changé de nom, devenant « Meta », sans doute en partie pour tenter de faire oublier ce nouveau scandale).
Facebook sait qu’Instagram est nocif pour les jeunes… et ne fait rien
L’ensemble de ces documents, baptisés Facebook Files, a servi de bases à une série d’articles du Wall Street Journal, d’abord en septembre, puis fin octobre 2021. Ils montraient que le groupe Facebook avait une parfaite mesure de la nocivité et du danger de ses services – mais n’y avait pas remédié, préférant engranger davantage de profits générés par ces dérives.
Les articles révélaient notamment que Facebook savait, par des enquêtes internes, à quel point Instagram était nocif pour les utilisateurs les plus jeunes, sans agir en retour. Les documents mettaient aussi en évidence que le réseau social avantageait en toute connaissance de cause les contenus les plus violents et n’avait pris aucune mesure pour freiner la propagation des fakes news, en particulier sur le Covid-19.
Contenues violents, fake news et modération hors de contrôle
Ces Facebook Files prouvent aussi la pauvreté de la modération dans des langues autres que l’anglais (notamment en arabe), une incapacité à répondre à des situations d’urgence (comme lors d’attaque sur le Capitole du 6 janvier) ou un algorithme de recommandation totalement hors de contrôle, mettant en avant des publications extrêmes, quand bien même les modérateurs tentaient de baisser manuellement leur score de popularité.
La lanceuse d’alerte s’est depuis lancé dans une vaste tournée des instances politiques internationales. Son message essentiel est qu’il faut que le législateur encadre beaucoup plus fermement les activités des réseaux sociaux. Son expérience montre que l’auto-régulation est impossible face à la soif de profits de dirigeants comme Mark Zuckerberg.
France Haugen en tournée mondiale pour conseiller les législateurs sur la régulation des réseaux sociaux
« La colère et la haine sont le chemin le plus facile pour développer Facebook », détaille Frances Haugen, très inquiète que Facebook abandonne la modération de ses contenus dans les pays en développement (87% du budget modération de la plateforme concerne les Etats-Unis), les transformant en zone de non-droit numérique.
Frances Haugen a témoigné devant une commission du Sénat à Washington le 5 octobre, à Westminster le 25 octobre, au Web Summit de Lisbonne le 1er novembre. Avant d’être reçue en France ce 10 novembre, par la Commission des Lois et des Affaires économiques de l’Assemblée nationale, elle a aussi été auditionnée par le Parlement Européen, ce lundi 8 novembre 2021.
La lanceuse d’alerte salue le le « potentiel énorme » du projet de règlement sur les services numériques européen
France Haugen y a notamment défendu le projet de règlement sur les services numériques (« Digital Services Act », DSA), actuellement examiné par le Parlement Européen. Elle a notamment salué le « potentiel énorme » du texte pour devenir une « référence » et « inspirer d’autres pays, dont le mien ».
Mais elle a aussi insisté sur la nécessité, pour la loi, d’être « forte » et son application « ferme », en limitant les exceptions, les exemptions, les délais, et en imposant une régulation puissante et rapide. Pour elle, « Facebook ne peut pas continuer à être juge, jury, procureur et témoin », et la loi doit imposer une transparence sur les données des plateformes de ce type et leur fonctionnement.
L’Europe a un rôle critique à jouer »
Elle a aussi milité pour que les élus demandent, via le DSA, « des chiffres par pays ou par langues », et a également défendu un système européen de supervision centralisé : « il n’y a peut-être que 200 ou 300 personnes dans le monde qui comprennent bien les algorithmes des réseaux sociaux, donc les répartir entre 27 régulateurs nationaux ne serait pas efficace », pointe-t-elle.
« L’Europe a un rôle critique à jouer. Vous contribuez ainsi à protéger le reste du monde », conclue Frances Haugen.