Début octobre 2021, l’Irlande a fini par accepter de signer l’accord d’harmonisation fiscale proposé par l’OCDE. Ce texte, qui pourrait entrer en vigueur en 2023, impose un taux d’imposition minimum de 15 % sur les bénéfices des multinationales, et, surtout, un localisation d’une part de ces bénéfices dans les pays où les activités sont réellement réalisées. De quoi remettre en question le « paradis fiscal irlandais » qui avait permis à Dublin d’attirer les sièges européens de la plupart des géants du web à des fins d’optimisation fiscale ?
Cette année 2021 voit émerger un accord historique d’harmonisation fiscale, qui semblait parfaitement irréaliste voici encore deux ans. Mais une crise sanitaire mondiale est passée par là, et les gouvernements du monde entier ont compris la nécessité de lutter ensemble contre l’optimisation fiscale.
Vers un taux d’imposition de 15 % pour toutes les multinationales
L’OCDE est ainsi parvenu à boucler un accord s’appuyant sur deux piliers. Le premier est une réaffectation par les multinationales d’une part de leur impôt sur les bénéfices aux pays « de marché », c’est-à-dire ceux où elles réalisent leurs activités. Il concerne les entreprises réalisant plus de 20 milliards de dollars de chiffre d’affaire, avec un taux de rentabilité supérieur à 10 %.
Le second pilier impose un taux d’imposition minimum de 15 % sur les bénéfices des entreprises réalisant plus de 750 millions de dollars de chiffre d’affaire annuel. Le 7 octobre 2021, les trois derniers Etats de l’Union Européenne qui ne l’avaient pas encore accepté (Irlande, Hongrie, Estonie) ont rejoint les 130 pays déjà signataires, qui représentent 90 % du PIB mondial.
L’Irlande valide l’accord de l’OCDE sur l’imposition des GAFAM
Le premier pilier touche fortement le modèle fiscal irlandais. En effet, l’Irlande a profité d’un taux d’imposition sur les sociétés particulièrement bas, à 12,5 %, pour attirer les sièges sociaux européens de la plupart des géants du web, dont Facebook ou Google. Ces entreprises américaines font ensuite facturer à leur filiale irlandaise la majorité du chiffre d’affaire réalisé dans les autres pays de l’Union.
Ce procédé d’optimisation fiscale, légal mais moralement discutable, permet aux GAFAM de délocaliser leurs bénéfices en Irlande, où le taux d’imposition est plus faible. Le texte de l’OCDE obligera ces géants du web à déclarer une partie de leurs bénéfices dans les pays où ils les réalisent effectivement – gonflant les recettes fiscales de ces pays, comme la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne… La mesure devrait rentrer en vigueur d’ici 2030.
Pourquoi l’Irlande a finalement accepté de signer ?
Ces nouvelles règles risquent donc de réduire les revenus fiscaux de l’Irlande. Ce qui explique pourquoi Dublin n’avait pas signé le texte, début juillet 2021. Certes, les tractations ayant amené à ce revirement sont restées secrètes.
Mais le contexte semblait clairement favorable. L’Irlande dispose d’un poids diplomatique limité au sein de l’Union Européenne, et fait face au Brexit, qui complexifie le commerce avec le Royaume-Uni et l’oblige à un rapprochement avec ses partenaires européens. Il est d’ailleurs probable que Dublin ait négocié avec Bruxelles un soutien sur d’autres questions-clés pour signer le texte.
Un manque à gagner fiscal à tempérer
Ensuite, l’impact sur les finances irlandaises pourrait ne pas être si important. Pour commencer, les 800 entreprises de la tech ayant installé leurs bureaux à Dublin ne seront pas toutes concernées par l’accord de l’OCDE. Les plus petites et, surtout, les moins rentables seront dispensées. Amazon, par exemple, a actuellement un taux de rentabilité inférieur à 10 %, ce qui lui permettrait, théoriquement, de maintenir l’intégralité de ses bénéfices en Irlande.
Enfin, l’Irlande va aussi être obligée de porter son taux d’imposition sur les sociétés à 15 %, au lieu de 12,5 % actuellement. Cela signifie que les revenus fiscaux versés par les géants de la tech à l’administration irlandaise vont augmenter de 20 %. Au final, le manque à gagner pourrait être réduit. L’Irlande pourra au passage décoller (en partie) son image de paradis fiscal. Un opération, au final, loin d’être 100 % négative pour Dublin.