Réseaux sociaux. Deux mots et une expression qui ont envahi notre quotidien et bouleversé des champs aussi divers que l’information, la politique ou les divertissements, sans oublier nos relations amicales ou amoureuses. Plus d’une décennie après leur avènement, le temps n’est néanmoins plus à l’émerveillement mais bien au devoir d’inventaire. Un examen critique et des mesures sont nécessaires pour que les réseaux sociaux continuent à déployer leurs bienfaits sans provoquer la cascade d’effets délétères dont nous sommes aujourd’hui les témoins.
Ces bienfaits, justement, il s’agit de ne pas les négliger à l’heure où les réseaux sont placés sous l’œil du microscope. Ce ne sont pas seulement ceux issus d’une nouvelle forme de sociabilité, que l’on est parfois trop empressé de réduire à sa virtualité. Pour nombre de communautés diverses ou d’individus isolés, les réseaux sociaux ont ouvert des perspectives qui n’existaient pas auparavant. Formidable outil de liberté, ils ont fait sauter les digues qui enserraient l’accès à l’espace et à la parole publique, permettant l’essor de mouvements politiques et citoyens qui n’auraient jamais vu le jour sans eux.
Malheureusement, le revers de la médaille commence sérieusement à peser plus lourd que l’avers, et ce pour trois grandes séries de problèmes. Le premier est la place croissante qu’ont pris les réseaux sociaux dans notre quotidien. Pour reprendre une expression qui a le mérite d’être claire, les réseaux sociaux ont tendance à cannibaliser notre temps de cerveau disponible en le mobilisant sur des occupations qui, on peut s’accorder là-dessus, sont loin de toujours être à haute valeur individuelle et sociale. Il suffit de jeter un œil à la nature des contenus qui circulent majoritairement sur Instragram, TikTok ou Snapchat, réseaux très prisés des jeunes, pour s’en convaincre. Des jeunes, « digital natives », qui sont soumis dès le plus jeune âge à la tyrannie des gratifications immédiates que sont les notifications, les likes ou les followers, menant à une perte d’attention et à des phénomènes addictifs.
Le second tient dans la violence et le crime. Il ne s’agit pas de dire que les réseaux sociaux ont rendu la société plus violente et moins civile, mais qu’ils ont favorisé l’éclosion de nouvelles formes de délinquance et de criminalité plus difficiles à appréhender et à combattre. Les victimes du cyber-harcèlement sont encore bien trop souvent livrées à elles-mêmes, abandonnées derrière la solitude de leur écran. Les outils juridiques et policiers n’ont pas encore été pleinement adaptés à cette nouvelle donne, faisant des réseaux une zone d’impunité inacceptable.
Le troisième péril enfin, le plus grave peut-être, est celui que les réseaux sociaux font courir à nos systèmes politiques. D’une promesse démocratique, les réseaux se sont mués en un outil de déstabilisation des processus électoraux, comme l’ont montré le scandale Cambridge Analytica et les forts soupçons d’ingérence russe dans la campagne ayant mené à l’élection de Donald Trump. D’un espoir de discussion élargie au plus grand nombre, ils ont substitué un champ de bataille où le tribalisme est roi et les fake news prospèrent, rendant impossible un débat démocratique qui devrait porter sur des valeurs et des conceptions alternatives de la vie commune mais pas sur la véracité des faits historiquement ou scientifiquement établis.
Des mesures fortes doivent être prises, à tous les niveaux. C’est à la puissance publique qu’il revient de mieux encadrer les plateformes, afin que celles-ci assument pleinement leur responsabilité et retirent de manière diligente les contenus illicites et dangereux postés sur leurs réseaux. Pour assurer transparence et équilibre, les critères choisis devraient être rendus publics et des conseils de surveillance similaires à celui mis en place par Facebook devrait être créés, afin que les cas les plus litigieux puissent être tranchés de manière contradictoire. Pour les grandes plateformes, il est grand temps de cesser de prêcher la croissance par tous les moyens et de promouvoir des usages plus raisonnables de leurs services, en adaptant si besoin leurs précieux algorithmes pour que ceux-ci soient véritablement mis au service des utilisateurs. C’est à ces derniers de se mobiliser aussi, comme le font les internautes suédois du mouvement #Jagärhär, « je suis ici » en Français, qui, lorsqu’ils identifient des contenus haineux ou complotistes postés en ligne, les noient sous des discours bienveillants et des contre-argumentaires pour permettre d’en neutraliser la portée.
Enfin, alors que les dégâts provoqués par les réseaux sociaux chez les plus jeunes, leur bien-être et leur développement, apparaissent de plus en plus clairement chaque jour, qu’attendons-nous pour prendre le problème à bras le corps ? A quand une véritable interdiction pour les moins de quinze ans ?