Par essence technique et aride, le sujet des adresses IP pourrait bien s’inviter dans les conversations du grand public si rien n’est fait pour libérer, rapidement, l’emprise des opérateurs historiques sur le véritable pactole d’adresses qu’ils monnaient à prix d’or, rançonnant les start-up et autres PME qui ne peuvent se passer des précieux protocoles Internet. Une situation de rente qui obère l’innovation et la saine concurrence et que certains acteurs, comme le fournisseur LARUS, entendent bien challenger en proposant d’innovantes solutions de leasing – en attendant une nécessaire refonte globale de la gouvernance de l’Internet mondial.
Un Internet libre, presque infini, anarchique voire anarchiste, au service de l’intérêt général, peu ou pour ainsi dire pas surveillé, qui rassemble les peuples au-delà des frontières au lieu de diviser les citoyens d’un même pays… Ce temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, pour paraphraser Aznavour, a bel et bien existé. Depuis deux décennies, cependant, le Web mondial a profondément changé, marqué tant par l’explosion quantitative des usages et usagers que par l’insatiable voracité d’opérateurs monopolistiques. Exponentiels, ces deux phénomènes sont intimement liés – y compris d’un strict point de vue technique, comme en témoignent les tensions autour d’un rouage aussi essentiel que méconnu d’Internet : les adresses IP.
Véritable « plaque d’immatriculation » des appareils reliés à Internet – qu’il s’agisse d’un ordinateur, d’un téléphone ou de tout autre objet connecté –, chaque adresse IP (pour « Internet Protocol ») est représentée sous la forme d’une suite de numéros unique. Distribuées, à l’origine, gratuitement, ces adresses IP sont de nos jours, pour la plupart, possédées par de gros opérateurs historiques, qui les revendent sur une forme de « marché gris » à des tarifs exorbitants, pouvant atteindre 60 dollars par adresse. Les raisons d’une telle spéculation sont à la fois historiques et technologiques. Si des milliards de combinaisons de chiffres sont possibles avec le protocole IPv4, leur nombre n’est, cependant, pas infini ; dès le début des années 2000, le volume d’adresses IPv4 disponibles commençait déjà à se tarir. L’explosion mondiale d’Internet n’a, depuis, rien arrangé.
Une pénurie qui entrave l’innovation
Une solution a pourtant été avancée voici plus de vingt ans : un nouveau protocole Internet, baptisé IPv6, a été imaginé par des chercheurs afin de palier à la raréfaction annoncée des adresses IPv4. Problème, une série de nouveautés introduites par ses concepteurs ont rendu la migration vers l’IPv6 extrêmement complexe et son déploiement à l’échelle mondiale particulièrement lent. En attendant que l’IPv6 prenne enfin son envol, l’IPv4 demeure, donc, la norme ; avec une conséquence évidente : l’offre en adresses IP reste dramatiquement en-deçà de la demande, cette pénurie entraînant, mécaniquement, la hausse des tarifs de ces « vieilles » adresses majoritairement possédées par les opérateurs historiques du marché.
Cet état de fait n’a, malheureusement, pas que des conséquences commerciales. En privant les start-up et autres petites et moyennes entreprises d’un accès financièrement raisonnable à de simples adresses IP, cette pénurie généralisée pénalise lourdement les jeunes pousses face aux mastodontes déjà installés ; elle entrave l’innovation technologique ; et elle encourage une forme de spéculation malsaine autour d’adresses IPv4 dont rien n’assure que la valeur ne s’effondrera pas une fois l’IPv6 pleinement opérationnelle. En somme, le manque d’adresses IP favorise une forme de rente de situation, au profit d’acteurs d’ores et déjà très puissants et, surtout, au détriment de l’innovation, de la saine concurrence induite par l’arrivée de nouveaux entrants et, in fine, de l’intérêt général d’une humanité pour laquelle l’accès à Internet est devenu un besoin quasi-vital.
Ces acteurs privés qui veulent renverser la table
Comment enrayer un tel cercle vicieux ? Alors qu’en matière d’IP aucun miracle technologique ne se profile à l’horizon, le pragmatisme s’impose. A ce titre, le leasing apparaît comme un moyen privilégié d’acquérir des adresses IPv4 plus nécessaires que jamais ; un moyen, et même « un espoir et une chance » pour les PME, selon le fournisseur privé d’adresses IP LARUS, qui milite pour que « l’accès à l’Internet ne soit pas fourni par les (seuls) grands fournisseurs de télécommunications et de clouds, mais aussi par chaque nouvel acteur innovant ». Dans le viseur de l’entreprise, les fameux RIR (Registre Internet Régional), ces organes associatifs qui, bien que tout puissants, semblent complètement dépassés par la pénurie d’adresses IP – quand ils ne sont pas, à l’image du RIR AFRINIC, totalement sous l’emprise d’une corruption éhontée.
« La politique des RIR (…) ne va pas dans le sens d’un marché juste, transparent et équitable », accuse encore LARUS, selon qui « le pouvoir des RIR doit être régulé » afin de permettre à d’autres acteurs de proposer aux PME un accès impartial et bon marché aux ressources Internet. Faisant le pari de l’innovation et de la créativité, ces nouveaux acteurs veulent peser en faveur d’une réforme en profondeur de la gouvernance mondiale d’Internet, « défier le statu quo et les intérêts particuliers ». Il en va d’une certaine vision de l’équité et de l’égalité, certes ; mais aussi, plus prosaïquement, de ce que les êtres humains feront – ou pas – des immenses ressources encore inexplorées de l’Internet.