Placé en redressement judiciaire en janvier 2022, Sigfox, l’ex-porte drapeau de la French Tech, va être officiellement repris par le singapourien Unabiz, un fournisseur de services IoT, fondé par… un ancien salarié de Sigfox. Cette chute vertigineuse illustre à la fois la volatilité des destinées industrielles des start-up, même les plus prometteuses, et la croissance finalement assez limitée du marché de l’IoT, présenté comme un eldorado au milieu des années 2010.
Retour en arrière. En 2016, Sigfox, la jeune pousse française spécialisée dans les réseaux bas-débits pour l’IoT, réalise une levée de fonds de 150 millions d’euros, la plus importante de la French Tech à l’époque. L’avenir semble radieux, les perspectives de croissance de l’IoT et de la technologie propriétaire de Sigfox, particulièrement robuste et efficace, semblent infinies.
Le rêve Sigfox s’est fracassé sur la réalité
Six ans plus tard, le rêve s’est fracassé sur une réalité beaucoup moins rose. Sigfox s’est d’abord heurté à un marché de l’IoT qui n’a pas connu l’explosion annoncée. En 2015, Gartner estimait que le nombre d’objets connectés dans le monde atteindrait 25 milliards en 2020. Ce nombre n’a pas dépassé, à cette date, les 6 milliards.
Mais Sigfox a échoué encore plus lourdement. L’entreprise visait le milliard d’objets opérés en 2023, mais elle n’en connecte actuellement que 20 millions dans 75 pays. La start-up paye aussi son choix de développer une norme propriétaire, certes de haute qualité, mais gênant l’interopérabilité avec d’autres objets connectés.
Le choix contestable d’une technologie IoT propriétaire
Si bien que d’autres technologies se sont beaucoup plus largement imposées dans le monde de la connectivité IoT, notamment LoRa, une technologie bas-débit et basse consommation, comme Sigfox, mais open source et permettant de se passer d’un opérateur, ou NB-IoT, un standard utilisant les réseaux sans fil des opérateurs télécoms historiques. Et la 5G risque de gagner aussi des parts de marché.
La pandémie de Covid-19 et la pénurie mondiale de semi-conducteurs ont achevés de noircir le tableau. En septembre 2020, Sigfox met en place un plan de licenciement de 10% de ses effectifs. En février 2021, son président et cofondateur, Ludovic Le Moan laisse sa place à Jeremy Prince.
Un impossible changement de stratégie
La jeune pousse tente alors un ultime coup : abandonner l’infrastructure télécom, et se tourner exclusivement vers la fourniture de services IoT aux entreprises. Pour réussir, ce plan imposait de vendre les deux derniers réseaux que Sigfox opérait en propre, en France et aux Etats-Unis (après avoir déjà vendu son réseau allemand en 2020).
La conjoncture a empêché cette vente, précipitant Sigfox dans l’abîme. Plombée par 155 millions d’euros de dettes, incapable de régler ses dépenses courantes, Sigfox se place en redressement judiciaire en janvier 2022.
Le singapourien UnaBiz reprend les activités de Sigfox
Ce 21 avril 2022, le Tribunal de Commerce de Toulouse a désigné le repreneur de Sigfox SA et Sigfox France : il s’agit de l’opérateur singapourien de réseaux IoT UnaBiz. Ce dernier a été fondé par un ancien salarié de Sigfox, et opère le réseau Sigfox de Singapour.
De la douzaine de repreneurs qui avaient déposé un dossier, c’était la solution préférée des salariées, pour d’évidentes raisons de culture d’entreprise, mais aussi pour la structuration du financement et la stratégie. Unabiz étant un investisseur étranger, l’opération a du recevoir l’approbation du ministère de l’Économie pour être menée à bien.
D’un milliard à 3,6 millions d’euros : la lourde décote des actifs Sigfox
Sur les 174 emplois de la maison-mère Sigfox SA, Unabiz en conservera 110. Les 70 salariés de la filiale française devraient également conserver leur poste.
« UnaBiz garantira définitivement la souveraineté technologique française de Sigfox. Au-delà de sécuriser les ventes de Sigfox dans les 12 mois à venir, alors que de nouveaux marchés émergent dans un contexte postpandémique, le nouveau Sigfox se réinventera et collaborera avec d’autres technologies LPWAN telles que Lora, LTE-M et NB-IoT pour saisir de nouvelles opportunités de développement », pointe Henri Bong, Co-Fondateur et Co-CEO d’UnaBiz.
UnaBiz a racheté l’ensemble des actifs de Sigfox pour 3,6 millions d’euros. Le fondateur de la jeune pousse, Ludovic Le Moan, affirme qu’il avait refusé, en 2018, au moment où l’entrée en Bourse de la jeune pousse semblait réaliste, une offre d’un milliard d’euros pour sa pépite.