Face au projet de réglementation européenne sur l’intelligence artificielle (IA), Google et OpenAI ont présenté des visions diamétralement opposées : là où l’opérateur de ChatGPT menace de quitter l’Europe si les règles s’avèrent trop contraignantes, le géant du net aurait noué un « pacte sur l’IA » avec l’Union européenne.
Le projet d’Artificial Intelligence Act, ce règlement européen encadrant l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA), en particulier les outils génératifs de textes ou d’images, déchaîne les passions des géants américains.
L’Artificial Intelligence Act en cours de finalisation à Bruxelles
En discussion depuis deux ans, le règlement pourrait être bouclé cette année. Le Parlement européen s’est ainsi récemment accordé sur une version du texte : il impose notamment aux entreprises proposant des solutions d’IA générative à déclarer si des textes, des images ou des musiques protégés par le droit d’auteur ont été utilisés pour entraîner leur modèle.
Cette disposition permettrait aux ayant-droits de réclamer des compensations pour l’utilisation de leurs œuvres. Le texte fait aussi peser la responsabilité judiciaire de ces emprunts aux fournisseurs d’IA générative, et pas aux entreprises qui utiliserait ces créations à des fins commerciales.
Vers une responsabilité pénale des éditeurs d’IA générative en cas de viol du droit d’auteur
Dit autrement : si un texte, une musique ou une image créée par une IA ressemble trop à une œuvre existante protégée par le droit d’auteur, ou si le modèle d’IA a été entraîné sur de telles œuvres, les artistes pourraient réclamer directement aux opérateurs une compensation.
Évidemment, une telle mesure gêne les éditeurs de ces outils, en particulier ceux qui sont déjà en ligne et auraient été, potentiellement, entraîné sur des œuvres protégées – ce qui, vu le niveau d’automatisation des processus d’apprentissage, ne paraît pas exclu. Ces éditeurs seraient obligé de reprendre à zéro l’apprentissage, ou négocier de fortes compensations aux ayant-droits.
OpenAI menace de quitter l’Union européenne si la réglementation est trop contraignante
Est-ce pour cela qu’OpenAI, la start-up derrière ChatGPT, le fer de lance de cette petite révolution technologique, s’est montré très sceptique sur cette réglementation ? Sam Altman, CEO d’OpenAI, a ainsi exprimé de ses “nombreuses inquiétudes” vis-à-vis de ce projet, dans un entretien au Financial Times.
“Les détails seront importants. Nous essayerons de respecter les règles mais si nous ne pouvons pas nous cesserons d’opérer” en Europe, a menacé a mots couverts le fondateur de la start-up. Il admet qu’une réglementation est nécessaire, mais propose qu’elle s’applique uniquement aux prochaines générations d’IA génératives, quand les modèles poseront un « risque existentiel ».
« Inutile de tenter de faire du chantage »
La manœuvre rappelle celle d’Amazon, qui expliquait qu’il fallait lui laisser définir quelles règles éthiques ses outils de reconnaissance faciale soutenus par l’IA devaient respecter.
Le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, a d’ailleurs très vigoureusement réagi à cette déclaration. « Il est inutile de tenter de faire du chantage en prétendant que l’Europe retarde la mise en œuvre de l’intelligence artificielle générative en élaborant un cadre clair, c’est le contraire » a-t-il lancé, sans prendre de gants.
Google signe un pacte sur l’IA avec les instances européennes
En revanche, le ton est davantage à la conciliation du coté de Google. Son patron Sundar Pichai, en visite à Bruxelles, s’est vu proposer un « pacte » sur l’IA, que le dirigeant du géant du net, critiqué et attaqué de toute part dans l’Union européenne pour des abus de position dominante, aurait accepté.
« Nous nous sommes mis d’accord sur le fait que nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre que la législation sur l’IA soit applicable, et pour travailler ensemble avec tous les développeurs d’IA pour mettre en place un pacte sur une base volontaire », a synthétisé Thierry Breton, sans donner plus de détails.
Google semble ici tirer la leçon de ses erreurs passées : pour être allé trop souvent à l’affrontement avec l’Union européenne, l’entreprise s’est heurté à l’intransigeance des instances, et s’est retrouvé très fragilisée, y compris dans ses volontés de lobbying. OpenAI, de son coté, réagit avec la suffisance des géants US au début ou au milieu des années 2010. Le retour de bâton pourrait s’avérer violent.