Un pas décisif vers la régulation des plateformes en ligne en Europe, le Digital Services Act (DSA) ambitionne de contrôler l’activité des géants de l’internet tout en luttant contre les discours de haine et la manipulation des opinions. Bernard Benhamou, secrétaire général de l’Institut de la Souveraineté Numérique, analyse les enjeux de cette nouvelle législation.
Objectifs et nécessité du Digital Services Act
Le Digital Services Act vise à responsabiliser les grandes plateformes en ligne pour endiguer les dérives observées, notamment en matière de discours haineux et de désinformation. Les exemples de manipulations massives, orchestrées par des groupes extrémistes ou des États malveillants, soulignent l’incapacité des géants du numérique à se réguler eux-mêmes. L’objectif est donc clair : créer un cadre législatif robuste qui place la responsabilité des contenus diffusés entre les mains des acteurs du numérique.
Le DSA remet en question le modèle économique des plateformes, basé sur l’attention des utilisateurs et l’exploitation de leurs données personnelles. En conséquence, toute régulation des contenus se heurte à cette logique de profit. Bernard Benhamou rappelle que sans régulation, les dérives se poursuivront, entraînant des conséquences non seulement économiques, mais également politiques et sociales, comme l’a révélé l’impact des discours haineux sur les réseaux sociaux.
Le DSA établit un principe fondamental : « ce qui est illégal hors ligne devient illégal en ligne ». Ce changement de paradigme vise à s’assurer que les lois en vigueur sur la discrimination et la haine soient respectées sur les plateformes numériques, transformant ainsi ces dernières d’un espace non régulé en un environnement où les règles de la société s’appliquent. Cela répond à l’inaction des géants du numérique, qui privilégient les contenus radicaux pour leur potentiel lucratif.
Les moyens d’application du DSA
L’efficacité du DSA repose sur des sanctions dissuasives, ciblant non seulement les entreprises mais également leurs investisseurs. Les amendes pourraient atteindre jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires mondial, tandis que l’interdiction d’opérer en Europe pourrait également être envisagée. L’Europe, étant le premier marché pour ces géants, risque de voir ces entreprises se conformer pour ne pas perdre leur accès à ce marché crucial.
L’un des enjeux majeurs sera d’obtenir un accès aux algorithmes des entreprises pour assurer une régulation efficace. Le professeur Frank Pasquale souligne que “l’audit régulier de ces systèmes est essentiel pour comprendre leur impact sur la société.” L’objectif est d’éliminer l’opacité entourant les décisions prises par ces algorithmes, garantissant ainsi une transparence indispensable à la démocratie.
La mise en œuvre du DSA ne concerne pas uniquement la régulation des contenus, mais englobe également des dimensions économiques, politiques et environnementales. Les plateformes numériques doivent être tenues responsables de leur empreinte environnementale, en intégrant la question de la consommation d’énergie et du stockage de données dans le débat sur leur régulation.
Risques et perspectives d’avenir
Les critiques évoquent le risque d’une dérive vers la censure, notamment pour les milieux radicaux qui pourraient voir leurs capacités d’expression réduites. Toutefois, la régulation vise principalement à préserver les valeurs démocratiques et à contrer la montée des discours extrémistes, illustrée par des événements tels que l’invasion du Capitole aux États-Unis.
Il est crucial de trouver un équilibre entre la régulation des contenus pour protéger la démocratie et le respect de la liberté d’expression. Les institutions judiciaires joueront un rôle clé pour éviter les abus et garantir que la régulation n’entrave pas les droits fondamentaux.
En somme, le Digital Services Act représente une avancée significative vers un internet plus sûr et responsable. En établissant des règles claires, l’Europe aspire à un écosystème numérique où les discours de haine et la manipulation des opinions sont réduits, favorisant ainsi un débat public éclairé et respectueux. Les défis sont nombreux, mais l’enjeu est de taille : préserver l’intégrité de nos sociétés face à la montée des extrémismes et des dérives numériques.