Des enquêtes criminelles utilisent de plus en plus souvent des données produites par des objets connectés (enceintes, bracelets, montres, pacemaker…) comme élément à charge ou décharge, pour confirmer ou infirmer des lignes de défense. Si ces témoignages d’un nouveau genre permettent bien à la justice de progresser, la question de leur légitimité se pose.
Les cas se multiplient : de plus en plus souvent, des enquêteurs, notamment sur des affaires criminelles, utilisent des données fournies par des appareils connectés variés pour confirmer une version des faits racontés par un témoin. Et il n’est pas rare que l’appareil révèle un mensonge, et transforme le témoin en suspect… Trahi ou innocenté par Alexa, son FitBit ou sa montre connectée ? Bienvenue dans le monde 2.0
Un FitBit qui ruine la théorie d’un coupable
Nos collègues de ZDNet.com ont enquêté sur ce sujet : les affaires qu’ils relatent sont toutes dignes d’un film ou d’une série policière à succès. Ils évoquent par exemple le cas d’un homme retrouvé attaché à la chaise de sa cuisine, le visage ensanglanté, dans le Connecticut : Richard Dabate déclare à la police qu’un individu masqué a fait irruption chez eux, a tué sa femme Connie dans leur sous-sol, vers 21h, puis l’a torturé.
Mais l’analyse du FitBit de Connie Dabate montre qu’elle avait parcouru 1 217 pas après être rentré de son cours de sport – le scénario évoqué par son mari ne supposait qu’environ 125 pas. De plus, le bracelet connecté prouvait qu’elle était en train de marcher autour de la maison vers 22h – une heure après sa mort théorique. De quoi faire de Richard Dabate le suspect numéro 1 de cette affaire.
Trahi par son pacemaker
Autre cas, dans l’Ohio : Ross Compton a affirmé à la police qu’il dormait quand sa maison a pris feu, en septembre 2016 ; il n’a eu que le temps de sortir une valise, son ordinateur, quelques sacs d’affaire, afin de quitter sa maison en flamme.
Mais la police a pu mettre la main sur les données du pacemaker de Compton, grâce à un mandat de perquisition. Analysées par un cardiologue, elles ont invalidées la thèse de l’homme : « Il est hautement improbable que M. Compton ait été en mesure de recueillir, d’emballer et d’extraire tous ces objets de la maison, de sortir par la fenêtre de sa chambre et de transporter de nombreux objets encombrants et lourds devant sa résidence pendant la courte période de temps qu’il a indiqué en raison de son état de santé. »
Ces données, associée au fait que le feu ait démarré en plusieurs endroits et que les lieux comme les vêtements de Compton sentaient fortement l’essence, ont fait condamner l’homme pour fraude à l’assurance.
Allô, Alexa ? J’ai besoin de faire vérifier mon alibi…
Dans l’Arkansas, un homme a, au contraire, été innocenté par son enceinte connectée ! En novembre 2015, John Bates recevait des amis chez lui. L’un d’entre eux est retrouvé, le lendemain matin, mort dans le bain à remous de la maison. L’hôte est accusé de meurtre au premier degré.
Dans la cuisine, la police retrouve un Amazon Echo, l’enceinte connectée utilisant Alexa. Les enquêteurs demandent à la firme d’accéder aux données enregistrées par cet objet connecté ; Amazon refuse dans un premier temps, mais Bates insiste et demande à ce que le géant du net transmette ces données à la justice. L’enceinte a enregistré le son de l’ensemble de la nuit : l’Echo démontre alors que Bates était loin de la scène de crime à l’heure de la mort de son ami. Ce qui a conduit à la fin des poursuites à son encontre…
Constitutionnels ou pas ?
D’autres cas de ce type commencent à apparaître, partout dans le monde. Et si ils aident l’enquête, peuvent-ils être utilisées comme preuve devant un tribunal ? Aucun cas n’a encore été jugé, aux Etats-Unis, avec ces témoins d’un nouveau genre. Mais le débat sur la constitutionnalité de ces appareils connectés fait déjà rage.
« La loi et les politiques publiques doivent encore évoluer pour tenir compte de la tension entre la vie privée individuelle, l’utilité de la technologie et l’invasion gouvernementale et l’accès à l’information privée » affirme par exemple Stephanie Lacambra, avocate de l’association de défense des droits numériques Electronic Frontier Foundation.
En cause, notamment, le Cinquième Amendement de la Constitution, qui protège contre l’auto-incrimination. Certains, comme Brian Jackson, de RAND Corp., estiment qu’il empêche d’user de ces preuves, quand l’accès à ces données « s’apparente moins à une fouille de la police dans les affaires de quelqu’un et plus à forcer une personne à témoigner contre elle-même – point contre lequel la Constitution prévoit une protection spécifique« .
A priori, rien n’empêche une Apple Watch de témoigner à un procès…
Mais les légistes estiment que ces témoignages ne sont pas limités par cet amendement : dans l’affaire Fisher contre les Etats-Unis, la Cour Suprême a jugé que ce Cinquième Amendement « protège contre l’auto-incrimination forcée, et non la divulgation d’informations privées ».
« Je ne peux pas imaginer qu’un avocat de la défense puisse sérieusement penser pouvoir réussir à faire annuler cette information si elle est obtenue grâce à un mandat » estime Carrie Leonetti, professeure agrégée de droit constitutionnel à l’Université de l’Oregon. De quoi permettre à Alexa, Apple Watch ou FitBit de témoigner dans un procès.