Longtemps opposés, les mondes du luxe et du numérique tendent à se rejoindre : les grandes marques ont compris la nécessité de s’adapter aux habitudes des nouvelles générations, et, sans perdre leur identité, ont su investir les réseaux sociaux pour renforcer leur image. La prochaine étape est celle de la vente en ligne, où de plus en plus de maisons de luxe investissent.
Les valeurs mises en avant par l’univers du luxe – élitisme, excellence, rareté – peuvent sembler contradictoires avec celles du numérique, des réseaux sociaux et de l’achat en ligne – universalité, mainstream, distribution de masse.
Se développer sur les réseaux sociaux pour créer un attachement chez les consommateurs
Mais s’en tenir à cette opposition, c’est oublier un peu vite que l’une des caractéristiques de notre monde numérique est qu’il met en avant les spécificités et l’unicité de l’individu, tant via sa représentation sur les réseaux sociaux que dans son besoin d’expérience la plus personnalisée possible sur le net. De nombreuses marques de luxe l’ont compris, et ont su investir le digital avec succès.
Pour cela, elles ont décidé de miser sur le brand content, en diffusant sur les réseaux sociaux des contenus qu’elles maîtrisent, en dévoilant certaines de leurs coulisses, en développant des contenus exclusifs pour les fans. L’idée est de développer une digitalisation singulière, qui renforce l’image de la marque et créé un réel attachement pour les consommateurs.
Les marques de luxe investissent Facebook, YouTube et, surtout, Instagram
Le numérique induit d’ailleurs un changement profond dans le rapport au luxe, où la marque s’impose par son univers, sa tonalité, ses à-cotés – au moins autant que par ses produits : selon un sondage pour Stratégies : « 78% des nouveaux consommateurs considèrent que le luxe est aujourd’hui davantage une histoire d’expérience que de possession ». Or, les 18-35 ans représentent aujourd’hui 85% de la croissance des marques de luxe, d’où un la nécessité pour ces dernières de s’imposer sur les réseaux sociaux.
Et, en la matière, les marques de mode françaises tirent tout particulièrement leur épingle du jeu : Hermès s’est lancée dans les live Facebook dès octobre 2016, Chanel a renouvelé son image chez les jeunes grâce à son storytelling sur Youtube, et s’impose en seigneur d’Instagram, avec des followers qui sont passés de 6 à 15 millions en un an.
« Le compte Instagram d’une marque de luxe représente la carte d’identité, la synthèse, son ADN »
Louis Vuitton fut la première marque à développer des stories sur Instagram, faisant croître le temps passé sur ses vidéos de 80%, l’imposant comme une marque incontournable chez les 18-25 ans, cible privilégiée du monde du luxe.
Au total, sur les dix marques françaises les plus populaires sur Instagram, neuf sont des enseignes de luxe : « Le compte Instagram d’une marque de luxe représente la carte d’identité, la synthèse, son ADN, perceptible instantanément » expose Cyril Marin Le Quellec, directeur général adjoint de Mazarine Digital. Et quand on sait que 75% des achats dans le luxe sont influencés par le digital, cette activité sur les réseaux sociaux devient un pilier de la stratégie de ces groupes.
Partenariats avec des outils de vente en ligne
Et si, longtemps, les marques ont eu peur d’abîmer leur image en proposant de la vente en ligne, les grandes maisons sont en train de nouer des partenariats ou des participations dans des plateformes de vente : « Après une mutation molle engagée il y a dix ans, la révolution digitale dans le luxe est bien là. Les groupes sont face à un nouveau monde, avec des consommateurs qui ont changé, notamment en Chine. Pour répondre à ces enjeux, la collaboration avec des pure players du digital devient indispensable » note Eric Briones, cofondateur de la « Paris School of Luxury ».
Car si les achats en ligne du secteur du luxe ne représentent que 9% du marché mondial, cette part devrait grimper à 25% d’ici 2025. Aucune enseigne ne veut prendre le risque de rater ce train. Ainsi la marque de luxe suisse Richemond, après avoir pris le contrôle de la plateforme de vente Yoxx Net-A-Porter, vient d’annoncer le rachat de Watchfinger, site d’achat et de revente de montres de luxe d’occasion.
Chanel entre dans le capital de Farfecht, LVMH dans celui de Lyst
Chanel est entrée dans le capital de la plateforme de vente de produits de luxe Farfetch, qui fournit depuis 2017 des prestations logistiques à Gucci : « Les alliances avec des prestataires comme Farfetch va leur permettre d’accélérer tout en continuant à maîtriser leur marque. Même Chanel qui a fait le choix de ne pas vendre sur la toile, a saisi cette opportunité, et devrait je pense à terme proposer un assortiment de produits en ligne », note Corinne Fortuny, vice-présidente en charge du luxe chez CGI Business Consulting.
LVMH vient de prendre part à une levée de fonds du moteur de recherche Lyst, spécialisé dans le luxe, créé pour faciliter les achats en ligne en permettant aux consommateurs d’avoir un accès simplifié aux grandes marques selon leurs goûts et leurs besoins – plus de 9 000 marques sont référencées. Ian Rogers, directeur du digital chez LVMH, va ainsi intégrer le conseil d’administration de Lyst : le but avoué est de développer la visibilité des marques du groupe LVMH sur Internet.
Proposer une expérience proche de l’achat en boutique
Ces partenariats avec des spécialistes du numérique permettent également aux grandes enseignes de progresser dans leur gestion client en ligne : les plateformes de vente de produit de luxe ont ainsi développé un sens de l’expérience client, à la réception du colis, avec un bel emballage, « proche de celle offerte dans une boutique de luxe » note Corinne Fortuny. Elles ont également appris à gérer les retours et les litiges spécifiques à la clientèle du luxe sur Internet. De quoi achever cette mue numérique pour les grandes marques de luxe, pierre angulaire de leur évolution vers la modernité.