Face au piratage de ses programmes par la chaîne saoudienne BeoutQ, le groupe qatari beIN a lancé il y a quelques jours un site internet visant à rendre publique cette tentative de déstabilisation de l’émirat. Cette opération, aujourd’hui portée devant les tribunaux, n’est pas la première du genre à provenir de ses voisins depuis le déclenchement de la Crise du Golfe.
Une opération pirate à 1 milliard de dollars
Le réseau qatari de chaînes de télévision sportives beIN affirme être, depuis août 2017, victime du « plus grand vol commercial jamais vu dans le monde du sport et du divertissement », selon son directeur général régional Tom Keaveny. En cause ? BeoutQ, une chaîne pirate lancée en Arabie saoudite reprenant intégralement les contenus (Coupe du monde, Ligue des champions, Ligue 1, Formule 1, films hollywoodiens…) de la branche moyen-orientale du groupe beIN. D’autres chaînes de sports sont également concernées par cet acte de piraterie, telles que l’américain Telemundo et le Britannique Eleven Sports.
BeIN a par ailleurs mandaté trois sociétés — Cisco, Nagra et Overon — qui ont certifié que beoutQ était bien diffusée par Arabsat, un opérateur satellite basé à Riyad et dont le principal actionnaire est l’Arabie saoudite. Même si le Royaume des Saoud s’en défend, beoutQ a vraisemblablement été une arme utilisée par les autorités saoudiennes dans le contexte de grave crise régionale qui dure depuis l’été 2017 et qui a abouti au blocus du Qatar par l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Bahreïn et l’Égypte.
Face à cet acte de piraterie, le groupe beIN a intensifié sa riposte le 16 janvier dernier en lançant le site web beoutq.tv. Celui-ci détaille les programmes diffusés illégalement par beoutQ dans plus de 20 pays, propose une chronologie des événements et pointe plusieurs personnalités saoudiennes qui seraient soutenues par leur État.
Une contre attaque devant les tribunaux
Le 1er octobre dernier, beIN Corporation a annoncé avoir lancé contre beoutQ une procédure d’arbitrage — ces procédures permettent à des entreprises de contester des décisions d’États qu’elles estiment défavorables, grâce au recours à des professionnels du droit choisis par les parties — portant sur un préjudice d’un milliard de dollars ; mais aussi sur les mesures prises par l’Arabie saoudite en juin 2017 lui interdisant de diffuser ses chaînes sur son territoire. BeIN Sports avait d’ores et déjà déposé plusieurs plaintes (en France et aux États-Unis notamment), mais ces procédures devraient prendre plusieurs années à aboutir.
En parallèle, l’Etat du Qatar a déposé une plainte auprès de l’Organisation mondiale du commerce et plusieurs ayants droit floués par ce piratage ont lancé des actions judiciaires : la Premier League et la LFP ont déposé plainte devant la commission européenne au mois d’août tandis que la Fifa a quant à elle nommé un conseiller juridique au mois de juillet afin d’intervenir en Arabie saoudite. En effet, même si le piratage de beoutQ concerne d’abord le monde arabe, la chaîne est rendue accessible dans le monde entier par les réseaux pirates utilisant la technologie IPTV (la télévision sur internet).
La Coupe du monde 2022 déjà en ligne de mire
L’affaire beoutQ n’est pas la première tentative de déstabilisation de Doha opérée par ses voisins du « Quartet » : à l’automne 2017, la plateforme de diffusion de sources GlobaLeaks a fourni a The Intercept — un média en ligne lancé par Glenn Greenwald suite à l’affaire Snowden — des informations émanant de la boîte mail Yousef al-Otaiba, l’influent ambassadeur émirati aux États-Unis et adversaire affiché du Qatar.
Des documents qui révélaient la volonté d’Abu Dhabi et de ses soutiens de mener une guerre financière très coûteuse contre le Qatar fin de le décrédibiliser aux yeux de la communauté internationale. L’idée générale, imprudemment exposée dans une présentation Powerpoint rédigée par Havilland — une banque privée luxembourgeoise détenue par David Rowland, un proche du prince héritier d’Abu Dhabi, Mohammed Ben Zayed — est la suivante : casser la valeur des obligations d’État du Qatar à travers l’augmentation du coût de leur couverture afin de créer une crise monétaire et mettre à mal les réserves du pays.
L’objectif de cette action secrète et illégale était d’isoler au maximum le Qatar du reste du Golfe et de suite à son image à l’international afin de le forcer à coorganiser la Coupe du monde avec ses voisins émiratis.
En s’en prenant à beIN et à la Coupe du Monde, les voisins du Qatar s’en prennent à un outil de géopolitique du petit émirat qui mise sur le sport pour s’offrir une visibilité à l’international. Une stratégie qui vise donc à tacler là où ça fait mal, mais qui ne passe pas inaperçue.