Retour sur l’aventure ArTV, une plateforme de streaming illégal diffusant les contenus de plus de 170 chaînes francophones. Avant sa fermeture, en 2017, elle réunissait plus de 150 000 utilisateurs actifs. Elle avait été créé, comme un hobby, par un adolescent de 17 ans, depuis sa chambre.
C’est, bien évidemment, un cas à part. Dans la galaxie des sites de streaming TV illégal, la majorité des offres émanent de groupes particulièrement bien organisés, souvent liés à des mafias. La plupart sont hébergés en Chine ou en Russie, loin des juridictions européennes ou nord-américaines.
Les plateformes de streaming illégal sont, en général, adossée à des mafias
Même quand le site est géré depuis des serveurs européens, il fait le plus souvent partie d’une vaste réseau brassant des centaines de milliers d’euros, comme Beinsport-streaming.com, fermé en juin 2018.
Mais l’histoire d’ArTV est bien différente. Cette plateforme (et son application ArTV Watch) avait gagné une immense popularité sur le net francophone, se classant un temps parmi les 150 applications les plus téléchargées sur Google Play à l’automne 2017. 800 000 comptes avaient été ouverts, les utilisateurs actifs étaient en moyenne 150 000 par jour.
ArTV : dans les leaders de la contrefaçon francophone, mais géré par un adolescent
ArTV proposait des liens toujours actifs vers 170 chaînes de télévision francophones, payantes et gratuites, depuis n’importe quel point de la planète. Les pics d’audience d’ArTV avait lieu pendant les rencontres sportives diffusées par des chaînes à péage, mais le site était également largement utilisés pour tous les autres contenus télévisés.
Pourtant, derrière ArTV, pas de réseau mafieux. Pas de pieuvre tentaculaire aux ramifications se perdant dans des paradis fiscaux. Non. Juste une personne. Un adolescent de 17 ans, Vincent, vivant en Aquitaine, qui avait monté la plateforme en solo, depuis sa chambre. Dans l’inconscience de l’illégalité manifeste de cette initiative. Ce qui explique qu’il n’ait pris aucune précaution pour se dissimuler, et la vitesse à laquelle les enquêteurs sont remontés jusqu’à lui.
Un bricolage pour rendre service à des amis…
A l’origine, Vincent avait juste bricolé une petite application pour permettre à des amis français, vivant à l’étranger, d’accéder aux chaînes de la TNT – pour contourner le blocage géographique. Une page web, une application, un serveur à deux euros par mois. Pour rendre service.
Mais sa solution s’avère techniquement irréprochable, elle plaît, et ses amis commencent à lui demander d’autres chaînes, souvent payantes. Vincent trouve des liens vers des hébergeurs de contenus illégaux, les recompresse légèrement pour les faire passer dans ses tuyaux, et le tour est joué.
… qui devient une plateforme-star de la piraterie
Le bouche à oreille est phénoménal, l’information est relayées sur les réseaux sociaux, les « amis » de Vincent se comptent bientôt en centaines, puis en milliers. « Je suivais juste le mouvement. Je n’ai jamais pris le temps de me demander si ce que je faisais était bien ou pas » explique l’adolescent, qui ne voit à l’époque rien de grave à faire de la simple redirection de liens.
Avec le succès, il investit dans plus de serveurs. Pour les payer, il met en place de bannières publicitaires. Il noue un partenariat avec deux plateformes de streaming illégal payant pour héberger leurs liens et faire la promotion de leurs abonnements. Il gère des flux financiers, qui atteignent à leur apogée les 3 000 euros par mois, depuis un compte PayPal créé par un « ami ».
« Cet argent, je ne le méritais pas. Ce n’était pas du vrai travail. »
Vincent affirme n’avoir jamais cherché à s’enrichir, et avoir toujours investit l’argent gagné dans la location de serveurs ou du matériel informatique. Quand il faisait des bénéfices, il le versait à des YouTubeurs professionnels en difficulté : « Cet argent, je ne le méritais pas. Ce n’était pas du vrai travail. Cela m’a permis d’apprendre plein de trucs, au niveau du développement Web, par exemple » explique-t-il.
ArTV finit par dépasser l’audience de certaines offres légales et payantes. Les chaînes de télévision ont alors la plateforme dans le viseur. Vincent reçoit un courrier de France 2, lui demandant d’arrêter de diffuser des contenus appartenant à France Télévision. Ce qu’il fait. Mais l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (ALPA) préfère contacter directement un juge, et porte plainte.
Un mea-culpa qui semble sincère
La fin de la récréation est sifflée le 6 décembre, à 7 heures du matin. Vincent publie ce message sur son compte Twitter : « Y a les flics chez moi wtf ». Mais la police est vraiment là. Et pour lui. Durant sa garde à vue, à Bordeaux, il désactive le site et l’application, depuis son smartphone. Et comprend, progressivement la gravité de ses actes.
Le lendemain, il ressort libre, et publie une vidéo en forme de mea culpa : « Avis à toute personne voulant faire un site dans le même genre, je vous le déconseille fortement » affirme-t-il.
Il encourt désormais une peine maximale de trois ans de prison et 300 000 euros d’amende pour « délit de contrefaçon par reproduction et représentation ». Le procès, dont la date est encore inconnue, devra notamment éclairer les actions de l’entourage du jeune pirate, notamment cet « ami » qui lui a créé son compte PayPal.