Le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, a réagi avec vigueur au rachat de Twitter par le milliardaire Elon Musk, patron de Tesla, qui veut faire du réseau social un temple de la liberté d’expression : il a rappelé que Twitter, comme toutes les autres entreprises technologiques, devra respecter les lois européennes sur les contenus illicites, en particulier le Digital Service Act finalisé fin avril 2022.
Face à l’OPA d’Elon Musk, patron de Tesla et de SpaceX, le conseil d’administration de Twitter a résisté un temps, utilisant même la technique dite de la « pilule empoisonnée ». Mais, craignant peut-être de se retrouver désavoué par les actionnaires face à l’offre très généreuse du milliardaire (54,20 dollars par action, 38 % au-delà de sa valeur au 1er avril), le conseil d’administration a fini par céder, ce 25 avril 2022.
Pour Elon Musk, « la liberté d’expression est le socle d’une démocratie qui fonctionne »
Certes, il faut encore qu’Elon Musk boucle le financement de ce rachat (44 milliards de dollars) puis fasse sortir le réseau social de la Bourse, comme il est a l’intention. Mais il semble désormais très probable que Twitter passe dans le giron de Musk. Cette victoire du milliardaire inquiète fortement les défenseurs des droits humains et d’une information de qualité.
Très critique contre toute forme de modération, Elon Musk, en bon libertarien, entend faire de Twitter « la plateforme de la liberté d’expression dans le monde ». Il a enfoncé le clou dans le communiqué confirmant que son offre de rachat avait été acceptée : « la liberté d’expression est le socle d’une démocratie qui fonctionne, et Twitter est la place publique numérique où les sujets vitaux pour le futur de l’humanité sont débattus ».
Le nouveau patron de Twitter prouve que sa vision de la liberté d’expression peut s’avérer toxique
Or, le milliardaire a une vision de la liberté d’expression qui ne s’encombre pas de lutte contre le harcèlement, les fausses informations, les insultes ou les contenus toxiques. Il estime que toute opinion est bonne à dire et à diffuser.
Et il en a fait la preuve dès le 27 avril, en likant un tweet se moquant de Vijaya Gadde, la juriste de Twitter en charge des règlements et de la sécurité, puis en republiant une image parodique se moquant de la modération du réseau social, pour sa « censure » des propose de Joe Rogan, un podcasteur ultra-populaire outre-Atlantique, connu pour ses postures antivax et ses saillies racistes, homophobes et sexistes.
« Le harcèlement, ce n’est pas du management »
Politico révèle d’ailleurs que, lors d’une réunion en ligne avec ses équipes, rassemblées pour parler du changement de propriétaire, Vijaya Gadde avait fondu en larmes. Elle a reçu notamment le soutien de Dick Costolo, qui a dirigé Twitter entre 2010 et 2015 : « Le harcèlement, ce n’est pas du management », a résumé l’ancien cadre de Twitter.
UltraViolet, une ONG défendant le droit des femmes, a même demandé au conseil d’administration de Twitter d’annuler l’accord passé avec Elon Musk : « le harcèlement d’Elon Musk à l’égard de Vijaya Gadde est la preuve claire et nette que sa gouvernance va ouvrir grand les portes au harcèlement et aux abus, spécifiquement contre les femmes et personnes de couleurs », a commenté Bridget Todd, directrice de la communication d’UltraViolet.
La Commission européenne rappelle à Elon Musk que Twitter devra respecter les lois européennes
La Commission Européenne s’est également montrée très ferme avec le nouveau boss de Twitter, en rappelant que la liberté d’expression avait, en Europe, des bornes définies par la loi.
Une loi qui va d’ailleurs évoluer vers plus de contrôle, puisque, hasard du calendrier, Parlement et Conseil européens se sont accordés ce 23 avril 2022 sur le Digital Service Act, qui va renforcer le contrôle du politique sur les plateformes Internet, en particulier celles qui disposent de plus de 45 millions d’utilisateurs européens – ce qui est le cas de Twitter.
Le Digital Service Act « s’appliquera quelle que soit l’idéologie » du propriétaire de Twitter
« Quel que soit le nouvel actionnariat, Twitter devra désormais s’adapter totalement aux règles européennes », a ainsi rappelé Thierry Breton, commissaire au marché intérieur. Ces règles luttent justement contre les fake news, les appels à la haine et autres contenus toxiques.
En France, le secrétaire d’État au Numérique, Cédric O, a été encore plus limpide : « il y a des choses intéressantes dans ce qu’Elon Musk veut impulser pour Twitter, mais rappelons que le Digital Services Act – et donc l’obligation de lutter contre la désinformation, la haine en ligne, etc. – s’appliquera quelle que soit l’idéologie de son propriétaire », a-t-il déclaré sur… Twitter.