Dans une procédure judiciaire récente, Qualcomm accuse ARM de vouloir changer de modèle économique, et faire payer ses licences non plus aux concepteurs de puces, mais aux constructeurs de produits finis. Qualcomm paierait en effet probablement un tribu fort lourd à ce changement. Mais il pourrait, aussi, fragiliser le concepteur d’architecture britannique, en incitant les concepteurs à aller voir ailleurs…
Nouvel épisode dans la grande guerre technologico-judiciaire des concepteurs de puces électroniques. Début septembre 2022, ARM avait intenté un procès à Qualcomm, suite au rachat de Nuvia par le fondeur américain.
Attaqué par ARM pour la double licence de Nuvia, Qualcomm contre-attaque
En effet, Qualcomm refuse de payer à ARM la licence du CPU développé par Nuvia à partir d’une architecture ARM, au motif que le fondeur paye déjà une licence pour la même architecture. Mais ARM argue que les contrats étant différents, la maison-mère et la nouvelle filiale doivent bien régler chacune une licence.
L’affaire est loin d’être tranchée sur le fond, mais c’est (en partie) sur un autre terrain que Qualcomm a décidé de contre-attaquer. Le fondeur a en effet déposé une demande reconventionnelle contre ARM, accusant ce dernier de vouloir profondément modifier son business model, et faire payer ses licences, non plus aux concepteurs de puces, mais aux fabricants finaux d’appareils utilisant lesdites puces.
ARM pourrait faire payer ses licences aux fabricants de produits électroniques, et plus aux fondeurs
Pour l’heure, ARM facture en effet ses licences aux concepteurs de puces électroniques, CPU et GPU, qui utilisent son architecture tout en pouvant la modifier. La quasi-totalité des fondeurs sont clients d’ARM : Qualcomm, Broadcom, Nvidia, Samsung, Apple, Huwei, MediaTek, STMicroelectronics…
Mais ARM envisagerait désormais de faire payer la licence aux constructeurs d’appareil embarquant ses puces, à partir de 2024. Et, surtout, d’empêcher toute modification des architectures ARM, détruisant toute la valeur ajoutée d’un fondeur comme Qualcomm.
Un séisme dans le monde des puces électroniques, dont Qualcomm serait le grand perdant
Une telle décision provoquerait un véritable bouleversement de l’écosystème des puces électriques. Apple ou Samsung n’en souffriraient que peu, car tous les SoC qu’ils construisent sont destinés à leurs propres appareils : la situation ne changerait donc pas radicalement, et ils pourraient sans doute négocier des licences leur accordant le droit de modifier les architectures.
Peu de risques aussi pour les géants comme Nvidia ou Broadcom, qui ont signé des partenariats très longue durée avec ARM. Au final, le principal perdant d’une telle redistribution des cartes pourrait bien être Qualcomm, qui semble d’ailleurs la cible principale de la mesure.
Mais cette décision pourrait se retourner aussi contre ARM, car elle pourrait inciter les fondeurs à s’appuyer sur d’autres architectures, comme par exemple RISC-V, dont la popularité ne fait que croître, d’autant qu’il s’agit d’une architecture ouverte, donc sans contrainte de licences.
Quel avenir pour ARM, dont SoftBank ne sait que faire ?
Autre option, tout aussi réaliste : les accusations de Qualcomm ne sont pas fondées et visent uniquement à fragiliser un partenaire qui les asticote avec ses multiples contrats de licence. Il est même possible (quoique moins plausible) qu’ARM a fait courir cette rumeur, justement pour mettre la pression sur Qualcomm et le contraindre à lâcher lui-même du lest.
L’ensemble donne toutefois un sentiment général de confusion, qui renforce l’idée que SoftBank, le groupe japonais propriétaire d’ARM, ne sait que faire du concepteur d’architectures de puce britannique, après l’échec de sa revente à Nvidia, qui aurait pourtant fait du bien aux finances de SoftBank.
A défaut de cette juteuse vente, le groupe japonais pourrait se résoudre à introduire ARM en Bourse, histoire de récupérer du cash. Au bout du compte, même si, technologiquement, ARM reste à la pointe dans son domaine, et en position de force dans bien des domaines, son avenir n’a jamais semblé aussi incertain et nébuleux…